Centrafrique : « Affaire Igor Djeskin Sénapaye » : vers la liquidation de la liberté de presse

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Le 2 mars 2023, le journaliste de RNL Igor Djeskin Sénapaye est interdit d’accès au palais de l’assemblée nationale, par une note de service dûment signée par le 1er vice – président Evariste Ngamana, pour «Traitement partiel et diffusion de fausses informations ».

Comme il fallait s’y attendre, il s’en est suivi une levée de très vives protestations sur les réseaux sociaux. Alors que la Radio Ndeke Luka et l’UJCA ont dénoncé un rétrécissement de l’espace civique se traduisant par une atteinte à la liberté de la presse, et de ce fait, ont appelé au retrait de la décision, l’Union des Journalistes de la Presse Libre Africaine « UJPLA3 » qui est une organisation panafricaine d’hommes et femmes des médias, créée pour défendre la liberté de la presse et la sécurité des journalistes partout sur le continent africain,  a déploré cette atteinte à la liberté constitutionnelle d’aller et venir reconnue à tout citoyen, a déclaré que la  note n’est pas conforme à la loi  qui prescrit la saisine du Haut Conseil de la Communication dans ce genre de cas, et in fine a demandé la levée immédiate de cette interdiction d’accès à l’Assemblée nationale Centrafricaine à l’encontre du journaliste Igor Djeskin Senapaye.

Du côté des institutions nationales, à savoir le gouvernement par le truchement du ministère de la communication et des médias et du Haut Conseil de la Communication, aucune réaction n’a été constatée. Si ce silence peut être justifié, en ce qui concerne le département en charge de l’information, du fait des relations tendues qu’entretient le pouvoir avec les hommes des médias, la non – réaction du Haut Conseil de la Communication est contraire à la loi. Car, en sa qualité d’autorité administrative indépendante chargée de veiller à la liberté de la communication écrite et audiovisuelle dans le respect de la loi, de l’ordre public et des bonnes mœurs, tous les médias œuvrant sur le territoire national rentrent dans son champ de compétence quel que soit leur statut juridique. Il dispose d’un pouvoir de décision en matière de respect et de promotion de la liberté de presse, et joue également un rôle consultatif auprès du gouvernement en matière de communication.

A ce titre, et ayant pour mission, en matière décisionnelle, de garantir l’indépendance, notamment en matière d’information, des médias publics et privés, préserver le libre accès aux sources d’information, gérer de façon équitable le libre accès des partis politiques, des syndicats, des associations et des citoyens aux moyens tant publics que privés d’information et de communication, assurer l’utilisation rationnelle et équitable des médias tant publics que privés par les institutions publiques chacune en fonction de ses missions  constitutionnelles, veiller au bon fonctionnement des médias et faire respecter les engagements contenus dans leurs cahiers des charges, et autoriser dans le strict respect du principe d’égalité de traitement entre les opérateurs, et dans les conditions prévues par la loi, l’établissement et l’exploitation des installations de radiodiffusion ou de télévision, d’exploitation cinématographique, de presse écrite et des écrits sur Internet tant publics que privés, son avis sur cette affaire est très attendue par tous les professionnels des médias. Il est aussi important parce que le Conseil délibère sur toutes les questions intéressant la presse et la communication, et que tous les projets ou propositions de loi relatifs aux activités de la presse lui sont soumis pour avis et considérations. En cas de manquements à leurs obligations, le Conseil adresse des observations aux dirigeants des organes ou journalistes défaillants, et le cas échéant, leur inflige des sanctions prévues par la loi sur la presse. Alors, pourquoi cette réticence de la part de Richard Pouambi ?

Nommé par le pouvoir à un poste de responsabilité doté de juteux avantages matériels et financiers, même pour ceux qui savent creuser dans de cuirasses latéritiques pour trouver de l’eau, il lui est impossible de se prononcer favorablement, comme l’exigent les textes et règlements en vigueur, sur le dossier de Igor Djeskin Sénapaye. Car, le faire reviendrait tout simplement à remettre en cause la décision prise par l’un des hommes forts du régime, de surcroît secrétaire général et porte – parole du MCU, parti majoritaire à l’assemblée nationale, et adopter un comportement rebelle vis – à – vis de ses chefs hiérarchiques. Et la conséquence à attendre d’un tel geste de sa part, serait inévitablement son limogeage de ses fonctions du président du HCC. Alors qui est con ? L’idéal pour Pouambi, in hoc casu, ne serait – il donc pas de se taire afin de sauver son boulot et les avantages qu’il lui procure, dans un contexte marqué singulièrement par de fortes tensions de trésorerie et de flambée des prix des matières de première nécessité ? Ne pas réagir est donc pour lui la bonne conduite à adopter dans le traitement de ce dossier.

Ce faisant, non seulement il est considéré comme démissionnaire, mais surtout il donne raison à l’ancien président Barack Obama qui, lors de sa visite au Ghana en 2009, avait déclaré que « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions ». Assurément, dans une démocratie digne de ce nom, le parlement joue un rôle crucial. En France, par exemple, l’assemblée constituante a mis fin à la monarchie et à une société de classes et proclamé la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Aux États-Unis, comme ailleurs, le parlement fait office de contre-pouvoir et joue un rôle central dans la consolidation de la démocratie. En Afrique, c’est au contraire souvent l’inefficacité du parlement qui a bloqué les différents États dans la sphère de l’« accès fermé » et les a empêchés de construire des institutions de meilleure qualité.

Ce qu’a dit Barack Obama est aussi valable pour le Haut Conseil de la Communication dont l’une des missions essentielles consiste à adresser des observations aux dirigeants des organes ou journalistes défaillants, et le cas échéant, leur infliger des sanctions prévues par la loi sur la presse. S’insurger, par conséquent, contre la sanction infligée au journaliste Igor Djeskin Sénapaye, c’est non seulement donner de l’importance à cette institution dont il a la lourde charge, mais surtout c’est lui conférer un caractère d’ « accès ouvert » et la rendre fonctionnelle en tant qu’institution. En bref, c’est balayer devant sa porte et contribuer à la consolidation de la démocratie dans notre pays. Et c’est ce que le journaliste Igor Djeskin Sénapaye a fait, lorsqu’il a porté la plume dans la plaie, en interpellant directement les représentants du peuple, à la veille du renouvellement du bureau de l’assemblée nationale, sur les graves irrégularités contenues dans le Rapport de la Commission Spéciale, et sur leurs responsabilités, en ce qui concerne la suite à réserver à ces scandales budgétaires et financiers. Par ce moyen, il a accompli son devoir d’informer et d’avertir ceux qui ont été élus pour parler au nom du peuple, et du coup, il a assumé sa responsabilité, en contribuant à l’exercice du jeu démocratique, selon lequel la résolution des conflits doit se faire par le débat, non pas par la violence, au nom du principe supérieur de la raison des Lumières.

Malheureusement, il n’a pas été compris et il a été sanctionné. Par qui ? Officiellement par le 1er vice – président Evariste Ngamana. Mais officieusement par ceux qui ne constituent tous que de la vermine. Par tous ceux qui ne sont pas arrimés à des convictions ni à des idéaux politiques mais qui sont justement en quête de prébendes. Par tous ceux qui ne croient en rien et sont disposés à ravaler leurs propres vomissures. Par tous ceux dont le dieu, c’est Mammon, c’est – à – dire le fric et la jouissance par des privilèges indument acquis. Et par tous ceux qui, forts en gueule, que le pays brûle et soit réduit en tas de cendre, s’en fichent. De toutes façons, ils seront les premiers à se terrer, le temps que la bourrasque passe. Ensuite, ils réapparaîtront pour faire la cour aux nouveaux maîtres du pouvoir. Ce sont ceux – là qui ont réglé le compte du journaliste Igor Djeskin Sénapaye, tout comme ils ont travaillé à obtenir l’interdiction d’accès aux sites des journaux en ligne CNC et Letsunami.net, depuis le 6 février 2021.

Nageurs en eaux troubles, ils militent activement pour la liquidation de la liberté de presse dans ce pays, dont les professionnels des médias s’en servent pour les empêcher de dormir.

La rédaction

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