CENTRAFRIQUE: AFFAIRE « ASSEMBLÉE NATIONALE CONTRE FONCTIONNAIRES-FOURNISSEURS DE L’ÉTAT »: LE PRÉSIDENT LAURENT NGON-BABA A RATÉ L’OCCASION DE SE TAIRE

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Dans ses envolées verbales et lyriques qui sont loin d’être un discours de la méthode à l’hémicycle de l’Assemblée nationale le mardi 1er octobre 2019 à l’occasion de la cérémonie d’ouverture de la session budgétaire de l’Assemblée nationale, le président de l’institution, l’honorable Laurent Ngon-Baba alias Moussa, s’est offert en spectacle pour un réquisitoire musclé contre une catégorie des fonctionnaires et agents de l’Etat qui sont des « fournisseurs de l’Etat », autrement dit des chefs d’entreprises privées qui font des prestations de service à l’Etat tout en étant eux-mêmes, ces chefs d’entreprises, des fonctionnaires de l’Etat. Le réquisitoire a péché en démonstration de sa solidité sur des bases juridiques pertinentes mais aussi par omission du contexte dans lequel le phénomène qu’il a critiqué se produit et le problème est posé.

1-Erreurs d’ordre juridique

Le président de l’Assemblée nationale n’a pas fondé son réquisitoire en droit. Il n’a pas présenté les dispositions constitutionnelles, légales ou réglementaires qui interdisent aux Fonctionnaires et Agents de l’Etat de créer des entreprises et de faire des prestations à l’Etat à titre essentiellement privé, et donc en dehors des heures de service légales, en ce qui concerne les agents publics qui travaillent de 7h30 à 15h30.

Il n’a pas présenté les articles de la constitution, de la loi fixant Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, de la loi portant Statut général de la Fonction publique ou celle relative à la Bonne gouvernance ou au Règlement général de la comptabilité publique, qui l’autorisent à faire le procès des Fonctionnaires et Agents de l’Etat lors d’une assise parlementaire.

A titre de rappel, l’Assemblée nationale est uniquement compétente pour:

-le contrôle de l’action du gouvernement;

-le vote des lois et la proposition des lois;

-la représentation et la défense des couches sociales et des intérêts de la nation;

-la motion de censure pour déposer un gouvernement ou le Premier ministre; et

-la motion de défiance pour traduire le chef de l’Etat devant la Haute Cour de Justice aux fins de sa destitution pour crime de haute trahison.

Nulle part l’Assemblée nationale n’a le droit de contrôler les Fonctionnaires de l’Etat ni de critiquer leurs activités privées qui ne sont pas interdites par la loi.

Sieur Laurent Ngon-Baba, juriste de son état, qui a eu à enseigner le droit à l’Université de Bangui et qui est lui-même Fonctionnaire de l’Etat avec un numéro de matricule comme cadre du ministère des Eaux et Forêts, de surcroît ancien ministre de la Fonction publique, ancien ministre de la Justice, ancien ministre chargé du Secrétariat général du gouvernement, ancien ministre délégué aux Affaires étrangères, député à l’Assemblée nationale en passant par le parlement de transition (CNT) pendant 8 ans d’affilée, devait être prudent et s’armer de tous les éléments de droit avant de tenir un discours public lors d’une audience solennelle à l’Assemblée nationale en présence des corps constitués de l’Etat et des ambassadeurs, surtout qu’il est le président de la 2ème institution de la République.

Il ne doit pas se comporter comme ces ramassés sociaux et ces sans-niveau qu’on retrouve malheureusement à l’Assemblée nationale, au gouvernement, à la primature, à la Présidence de la République, dans les autres institutions du pays et l’administration publique, sinon le pays est par terre. Mais la RCA est effectivement et définitivement par terre depuis le 1er octobre 2019 lorsque le président de l’Assemblée nationale qu’on croyait être le véritable porte-parole du peuple, sur qui une partie importante du peuple constituée des Travailleurs et Agents de l’Etat comptaient pour essuyer ces larmes, a malheureusement retourné ses armes contre cette partie du peuple.

2-Erreur de procédure 

Sur quelle base le président Ngon-Baba s’est permis de décrocher des flèches contre les Fonctionnaires d’Etat alors qu’aucune mission parlementaire menée par une Commission permanente de l’Assemblée nationale ou une  Commission ad hoc ne s’est rapprochée des différents départements ministériels et des fonctionnaires incriminés pour vérifier la véracité des faits et déterminer les conséquences de leur « double fonction » sur le fonctionnement des services publics ou le budget de l’Etat. L’Assemblée nationale devrait en quelque sorte mettre en place un comité ou une commission composée de véritables experts indépendants en vue d’identifier le phénomène de double fonction des agents publics, d’évaluer les impacts, d’indiquer les conséquences administratives ou pénales du phénomène, mais aussi proposer des mesures ou pistes d’action afin d’endiguer ce phénomène tout en faisant en sorte que les Fonctionnaires et Agents de l’Etat vivent de manière décente pour donner le meilleur d’eux-mêmes. Malheureusement, cela n’a pas été le cas.

3-Erreurs d’appréciation du contexte

Il convient aussi de souligner que le réquisitoire de Aladji Laurent Ngon-Baba faisant office illégal de procureur général près l’Assemblée nationale se tient dans un contexte où les Fonctionnaires et Agents des services publics et privés sont en train de lutter pour que l’Etat améliore leurs conditions de vie par:

-l’augmentation des salaires et indemnités comme chez le Président de la République, le président de l’Assemblée nationale, le Premier ministre, les ministres membres du gouvernement et assimilés, les chefs et membres des Institutions de la République, les hauts cadres et fonctionnaires de la Présidence de la République et de la Primature;

-la revalorisation des allocations familiales et des pensions, etc. Le tout pour faire face à la cherté de la vie.

Au lieu que la représentation nationale apporte son soutien aux travailleurs qui continuent de vivre dans la misère avec des salaires de catéchistes, elle se donne plutôt le luxe de critiquer ces Agents de l’Etat dont le seul tort est de faire comprendre à l’Employeur défaillant que le salaire qu’on leur verse à la fin de chaque mois ne leur permet pas de joindre les deux bouts; d’où ils sont obligés de mener d’autres activités en dehors des heures de travail pour leur permettre de répondre à leurs propres besoins et à ceux de leurs familles.

Lorsque le président Laurent Ngon-Baba indexe nommément les Fonctionnaires du ministère des Finances, il fait preuve de mauvaise foi parce que ceux-ci ne sont pas les seuls à mener les activités lucratives privées, en dehors de leurs heures de travail légales, pour joindre les deux bouts et lutter contre la pauvreté. Qui fait la morale à qui?

De sources proches du ministère des Eaux et forêts, lorsque le donneur de leçon était Fonctionnaire audit ministère, il menait lui-même des activités de consultant indépendant à l’intérieur dudit ministère pour aider les sociétés forestières privées à s’installer en RCA ou à améliorer leurs prestations dans le pays. Il utilisait le bureau du ministère, les documents administratifs publics et l’ordinateur du département pour faire ses prestations lucratives privées. Est-ce qu’il reversait l’argent qu’il recevait des investisseurs privés dans les caisses du Trésor public et du ministère des Eaux et Forêts? Non, l’argent amassé rentrait dans sa poche. Donc il est mal placé pour donner des leçons  d’éthique et de déontologie professionnelles aux Fonctionnaires du ministère des Finances.

Qui plus est, Laurent Ngon-Baba fait semblant d’ignorer qu’en raison des médiocres salaires que touchent les Fonctionnaires et Agents de l’Etat, ces derniers se sont tous lancés dans le petit commerce et l’entreprenariat privé pour arrondir leurs fins de mois. C’est la même chose aussi chez les magistrats, les cadres et officiers de la police, de la gendarmerie, de l’Armée, etc.

Des magistrats qui ne supportent pas les maigres salaires sont obligés d’immigrer vers les organisations internationales où il fait bon vivre. Et la plupart de ceux qui sont restés dans les juridictions ou au cabinet sont des exploitants de taxis, de bus, de bars-restaurants, voire de taxi-motos, activités qui leur permettent d’avoir de quoi sauver l’image du métier et l’honneur de l’employeur défaillant, puisque c’est à cause de ces petites activités lucratives qu’ils se procurent quelques vestes, costumes, chaussures, chemises, pantalons et cravates, achètent du carburant pour leur tacot, louent des maisons décentes, assurent les frais de transport réguliers de leurs enfants pour l’école, ces enfants dont le gouvernement refuse de leur payer des allocations familiales décentes. Y a-t-il un procès à faire à ces gens-là? Et en quoi les Fonctionnaires et Agents du ministère des Finances sont – ils si différents des magistrats et hauts gradés et cadres des Forces de défense et de sécurité qui se « débrouillent pour vivre »?

Plus grave encore, même les membres du gouvernement et beaucoup de chefs des institutions de la République sont aussi des chefs d’entreprises privées fournisseurs de l’Etat, y compris aussi des députés dont certains sont membres du bureau de l’Assemblée nationale. Ngon-Baba n’en a-t-il pas lui-même les preuves de ce que nous avançons?

Le PAN sait très bien que l’argent décaissé par le gouvernement pour réhabiliter l’axe Bossemptélé-Bozoum a été purement et simplement empoché par le député chef d’entreprise qui n’a pas effectué les travaux pour lesquels l’argent lui a été totalement décaissé. A-t-il besoin d’autres exemples?

En vérité et en vérité, il y a beaucoup de députés trempés jusqu’au cou dans ce genre de situations. Et donc, l’Assemblée nationale et son président sont mal placés pour faire des leçons de morale aux Fonctionnaires, fournisseurs de l’Etat à leurs heures perdues pour subsister. Ils ne volent pas l’Etat comme certains ministres et députés. On leur reproche finalement quoi?

La mission de l’Assemblée nationale étant entre autres de contrôler l’action du gouvernement et de le sanctionner en cas de besoin, le président de l’Assemblée nationale aurait dû profiter de son discours du 1er octobre pour dénoncer le cas des membres du gouvernement, des cabinets de la présidence de la République et de la Primature, qui sont des patrons d’entreprises privées « écran » et qui font de la concurrence déloyale avec les sociétés et entreprises véritablement privées, c’est-à-dire celles qui ont été créées et sont dirigées par des gens qui ne sont pas des Fonctionnaires et Agents publics.

Cerise sur le gâteau, le ministre des Finances lui-même est un homme d’affaires et on sait comment il tire profit des situations d’incompatibilité avec ses fonctions ministérielles, sans état d’âme. Idem pour le ministre de la défense nationale, le ministre du Commerce et de l’industrie, le ministre des PME et du secteur privé, celui du Tourisme, des arts et de la culture, celui des Eaux et Forêts et son collègue de l’Environnement et du développement durable, le ministre des Travaux publics et de l’entretien routier, le ministre de l’Elevage et de la santé animale (un véritable contrebandier), le ministre de l’Enseignement technique et de l’alphabétisation, le président et la vice-présidente du Conseil économique et social, la vice-présidente de la Haute autorité chargée de la Bonne gouvernance, pour ne citer que ceux-là.

Le cas des députés est pire. N’est-ce pas  la propension à l’affairisme qui avait coûté à Abdou Karim Méckassoua son départ inattendu et par ailleurs manifestement illégal du perchoir de l’Assemblée nationale, comme l’ont bien voulu le clamer haut et fort ses détracteurs au rang desquels un certain Ngon Baba ? Il convient également de souligner le cas de Mme Agnès Dekono qui est à la fois Fonctionnaire parlementaire, cadre à l’Assemblée nationale, membre du cabinet du président de l’Assemblée nationale, et cheffe d’une entreprise privée qui bénéficie régulièrement des contrats de prestations de service avec l’Assemblée nationale qui paie ses factures avant celles de tous les autres fournisseurs. N’y a-t-il pas un conflit d’intérêts à ce niveau?

Y a-t-il une loi qui autorise un Fonctionnaire d’une institution publique d’avoir des relations d’affaires avec son employeur? S’il y en a pour dame Agnès Dékono, pourquoi il n’y en aurait-il pas pour les autres Fonctionnaires qui sont aussi payés par l’argent de l’Etat comme dame Dékono, la superprotégée de Laurent Ngon-Baba et bien d’autres députés membres du Bureau de l’Assemblée nationale? Et le fait pour le président Ngon-Baba de nommer Mme Agnès Dékono comme Chargée de Mission à son cabinet parlementaire signifie tout simplement qu’il a toujours cautionné et cautionnera toujours dans l’avenir tout ce que cette femme a commis comme gaffes à l’Assemblée nationale avec son affaire de 225 millions de FCFA indûment et illégalement perçus sur le budget de l’Assemblée nationale, en toute illégalité d’ailleurs, avec la complicité active du ministre des finances et du budget, un certain Henri Marie Dondra. Ce seul exemple suffit pour démontrer les limites du réquisitoire anti-Fonctionnaires du président de l’Assemblée nationale.

4-Ce que le président de l’Assemblée nationale aurait dû faire

Le président de l’Assemblée nationale centrafricaine a raté l’occasion de se taire. Il aurait dû d’abord faire un tour d’horizon du problème qu’il voulait soulever, se munir de tous les éléments d’appréciation par rapport au contexte, chercher d’abord à savoir s’il était bien placé pour dire ce qu’il devait dire en exposant les Fonctionnaires et Agent de l’Etat débrouillards. Car en vérité, c’est le président de la République, c’est le président de l’assemblée nationale, c’est le premier ministre, ce sont les ministres, les députés, certains chefs et membres des institutions qui sont pour la plupart des chefs des entreprises privées et utilisent leur influence pour bénéficier d’importants marchés publics sans respecter les clauses du contrat. Certains Fonctionnaires incriminés ne sont d’ailleurs que leurs coxeurs, informateurs, garçons de course, comptables ou contrôleurs financiers privés.

Le président de l’Assemblée nationale devrait s’en prendre plutôt au gouvernement et à ses collègues députés qui ne prêchent pas par le bon exemple. Il aurait dû plutôt critiquer le président Faustin Archange Touadéra,  le Premier ministre Firmin Ngrébada et le ministre des Finances Henri-Marie Dondra le grand manitou pour avoir pour la deuxième fois nommé un chef d’entreprise privée qui est en même temps un Fonctionnaire de l’Etat, de surcroît inspecteur principal du trésor, au poste de Directeur général du Trésor et de la comptabilité publique, en la personne de Serge Warassio-Monkomssé, et demander aux députés qui sont des chefs d’entreprises de renoncer à leurs activités lucratives privées pour se consacrer essentiellement à leurs activités parlementaires. Là au moins son discours du 1er octobre serait salué.

Enfin, le président Ngon-Baba aurait dû profiter de sa tribune pour demander au gouvernement de payer tous les arriérés de salaires des Fonctionnaires et Agents de l’Etat avec les SOIXANTE (72) MILLIARDS DE FCFA que lui auraient accordé la FMI, la Banque mondiale, l’Union européenne, les Etats-Unis d’Amérique pour ne citer que ces pays, comme révélé à l’Assemblée générale des travailleurs à la Bourse de travail le samedi 14 septembre 2019. En cela, il aurait rendu service à la nation, fait de l’Assemblée nationale le véritable défenseur des intérêts du peuple centrafricain. Mais dommage !

Son réquisitoire du 1er octobre 2019 est un non sens, un non-événement, une véritable fuite en avant.

Nous y reviendrons.

Jean-Paul Naïba

 

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