Centrafrique : « 1er décembre 1958 » : Il était une fois……

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Chapitre 1. Il était une fois…

Aucun document audiovisuel n’existe à ma connaissance qui témoigne de la naissance de la République de Centrafrique, le 1er décembre 1958. Et ceux sur la proclamation de son indépendance le 13 août 1960 sont rares. L’Institut national de l’audiovisuel (INA) ne possède que de très brèves mais passionnantes séquences de la cérémonie officielle et les archives audio de Radio France Internationale (RFI) ne sont guère plus riches. Quant aux journalistes de la presse écrite aucun, semble-t-il, n’accompagnait (ou n’avait été convié à accompagner) André Malraux dans son périple africain. Les mœurs médiatiques ont changé…

Pour le discours prononcé par le ministre français à Bangui, je me suis référé au texte tel qu’il figure sur le site Internet consacré à André Malraux ( www.malraux.org).

C’est donc essentiellement sur les dépêches de l’Agence France Presse que repose le récit de la nuit du 12 au 13 août 1960. Par définition, elles sont brèves et ne s’embarrassent pas des à-côtés de la cérémonie, en particulier des festivités populaires qui ont suivi dans les rues de la capitale, Bangui, et quelques villes en province. Aucun document sonore n’existe qui permettrait de s’en faire une idée. Les seules images de défilé que j’ai dénichées sont celles mises en ligne par l’INA mais elles se rapportent aux cérémonies qui ont eu lieu le 1er décembre 1960 pour célébrer non pas la proclamation de la République centrafricaine mais le premier anniversaire de celle-ci.

Je ne fais qu’évoquer l’histoire du dirigeant communiste Édouard Cormon. Elle aurait pourtant de quoi inspirer un romancier tant elle est extraordinaire. Édouard Cormon (1903-1986) était un jeune activiste communiste, envoyé par le Parti pour faire de l’entrisme, en particulier au sein de l’armée française au lendemain de la Première Guerre, puis en Algérie et au Maroc, avant de rejoindre L’Humanité où il est propulsé administrateur-délégué à la fin des années 1920. À l’époque, le quotidien connaît des difficultés financières et reçoit de l’argent de Moscou. Il transite par l’Allemagne et est remis en marks qu’il faut changer peu à peu en francs. Les sommes d’argent sont importantes et inévitablement arrive le jour où l’intermédiaire part avec la valise de devises. Soupçonné (à tort) d’être de connivence avec le trésorier indélicat, Cormon sera mis en cause par le Parti et, de crainte d’être assassiné, choisit de fuir en Afrique, jusqu’en Oubangui-Chari où vit sa sœur. Il y restera toute sa vie, sans jamais remettre les pieds en France.

Les ouvrages des trois romanciers que je cite parce qu’ils évoquent avec force le Centrafrique sont : de Romain Gary, La Promesse de l’aube (Coll. Folio, Gallimard, Paris, 2010), d’Ahmedou Kourouma En attendant le vote des bêtes sauvages (Coll. Points, Seuil, Paris, 2000) et de Vassilis Alexakis, Les Mots étrangers (Coll. Folio, Gallimard, Paris, 2003).

Chapitre 2. Le dernier blanc sur la carte de l’Afrique

Les Portugais étaient les mieux placés pour explorer le cœur de l’Afrique. Dès le xv e siècle, leurs caravelles remontaient le fleuve Congo jusqu’en amont de Matadi, dans l’actuelle République démocratique du Congo. Mais ils n’ont pas poursuivi plus avant alors qu’ils étaient également installés sur les côtes d’Afrique de l’Est. Plus tard, les Portugais ont prétendu le contraire et leur pieux mensonge figure dans plusieurs ouvrages dont l’imposant Univers pittoresque. Histoire et description de tous les peuples, de leurs religions, mœurs, coutumes, industries. Afrique (Firmin Didot Frères, Paris, 1848).

Les Nyams-Nyams (l’orthographe de leur nom varie selon les auteurs) ont suscité une littérature très abondante au xix e siècle. La théorie des hommes à queue passionnait les membres des multiples sociétés de géographie en même temps qu’elle nourrissait les théories racistes comme l’a montré Jean-Dominique Penel dans Homo caudatus, les hommes à queue d’Afrique : un avatar de l’imaginaire occidental (Revue française d’histoire d’outre-mer, tome 71, n° 262-263, 1er et 2e trimestres 1984). Pour avoir une bonne idée de l’imaginaire occidental sur ce sujet à la fin du xix e siècle, je renvoie à l’article de Francis de Castelnau publié en 1851 dans le Bulletin de la Société de géographie, « Renseignements sur l’Afrique centrale et une nation d’hommes à queue qui s’y trouverait, d’après le rapport des nègres du Soudan, esclaves à Bahia ». Dix ans plus tard, l’explorateur Guillaume Lejean pense avoir percé le mystère et raconte sa découverte dans La Queue des Nyams-Nyams (Le Tour du monde, Hachette, 1861).

Le géographe Yves Boulvert est probablement la personne qui a le plus écrit (et continue à écrire) sur les premiers explorateurs européens à avoir pénétré depuis l’Égypte et le Soudan dans le centre de l’Afrique. C’est d’ailleurs de l’un de ses articles que j’ai extrait la citation du géographe August Heinrich Petermann qui constate (nous sommes à la fin du xix e siècle) que la lune est mieux cartographiée que le cœur du continent noir.

Les écrits d’Yves Boulvert sont une mine sur les pérégrinations des explorateurs, même s’il privilégie les informations d’ordre géographique. C’est également Yves Boulvert qui, envoyé en Centrafrique dans les années 1960 par l’Orstom, un organisme de recherche, a pris la peine de se rendre sur les lieux mentionnés par Jules Verne dans Cinq Semaines en ballon pour voir si les descriptions correspondaient à la réalité. La géographie a pu prendre la mesure de la fertilité de l’imagination de Jules Verne. On pourra se reporter à « Jules Verne et le Centrafrique » (La Géographie, n° 1515, décembre 2004). Pour les données biographiques sur Jules Verne, je me suis référé aux livres d’un connaisseur de premier ordre, Christian Robin, auteur notamment de Un monde connu et inconnu : Jules Verne (Centre universitaire de recherches verniennes, Nantes, 1978).

Parmi les principaux titres d’Yves Boulvert auxquels je me suis référé, je retiens principalement « Le dernier grand blanc de la carte d’Afrique : premières approches de l’Oubangui-Chari ou Centrafrique à la fin du xix e siècle » publié dans Terre à découvrir, Terres à parcourir (Université d’été de Paris-7-Denis Diderot, 1996), et Explorateurs méconnus dans l’Est centrafricain. Premiers témoignages et explorations avant 1885 (Orstom, Bondy, 1983). Plusieurs chapitres ultérieurs doivent également beaucoup aux travaux d’Yves Boulvert.

Les récits rédigés par les explorateurs, parfois plusieurs années après leur retour d’expédition, sont d’un intérêt inégal. Ceux du lettré Mohammed ibn-Omar el-Tounsy, Voyage au Dârfour (B. Duprat, Paris, 1845) et Voyage au Ouaday (B. Duprat, Paris, 1851) ont été rédigés par son ami le docteur Perron, un arabophone installé au Caire, à partir de leurs rencontres. Ils sont accessibles sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France (BNF), comme la plupart des textes de la littérature coloniale. Leur lecture en est passionnante. Les récits révèlent une personnalité attachante et sensible, soucieuse de décrire la réalité et non de la façonner à sa convenance.

On pourrait en dire autant du livre de l’Allemand Georg August Schweinfurth, Au cœur de l’Afrique (1868-1871), (Hachette, Paris, 1880). Chose remarquable, le livre a été publié en France en dépit de l’antigermanisme qui sévit après la guerre de 1870 et dont on trouve un peu la trace dans la préface de l’ouvrage. Le botaniste Schweinfurth est donc le premier Européen à avoir pressenti l’existence du fleuve Congo ; en revanche, il se trompe lorsqu’il écrit que l’Ouellé appartient au bassin du Chari. Son erreur vient de ce que, d’après les témoignages recueillis par lui, l’Ouellé rejoignait « une grande eau où le peuple priait comme les Arabes et avait des habits blancs comme eux ». Vingt ans plus tard, la croyance subsiste encore chez certains auteurs.

Parmi les explorateurs dont les observations sont à prendre avec précaution figure le docteur Potagos à qui l’on doit Dix Années de voyages dans l’Asie centrale et l’Afrique équatoriale (E. Leroux, Paris, 1885 pour le premier volume composé de quatre livres). Et « Voyage à l’ouest du Haut Nil » (Bulletin de la Société de géographie, tome XX, 1880).

J’évoque l’explorateur britannique Samuel White Baker et son combat contre les Européens qui pratiquent encore, au milieu du xix e siècle, la traite des esclaves. L’origine de son engagement mérite d’être rappelée. Il doit beaucoup à une femme, Florence Baker, une jeune femme noble d’Europe centrale âgée de dix-huit ans achetée par Baker sur un marché des esclaves en Bulgarie et qui, plus tard, deviendra sa femme. Elle l’accompagnera en Afrique dans ses expéditions pour trouver les sources du Nil et c’est avec elle qu’il dénoncera le trafic d’esclaves.

Chapitre 3. Le Danube de l’Afrique

L’épisode de Fachoda (l’« incident de Fachoda », pour reprendre le qualificatif britannique) de la fin 1898 se situe dans un contexte régional particulier, celui de la reconquête du Soudan par les forces anglo-égyptiennes de Kitchener et la défaite des mahdistes (islamistes) qui s’en étaient emparés. C’est au lendemain de sa victoire que Kitchener se retrouve en face de la colonne Marchand. En ayant la sagesse de ne pas verser dans le nationalisme et de s’incliner devant l’ultimatum anglais qui demande le retrait des troupes françaises, le gouvernement français (et le prudent ministre des Affaires étrangères, Théophile Delcassé) ouvre la voie à l’Entente cordiale qui sera conclue en 1904 entre les deux pays.

Tracer même à grands traits la colonisation du centre de l’Afrique ne doit pas faire oublier que, dans d’autres parties du continent africain, d’autres acteurs – les Italiens, les Espagnols, les Portugais – s’agitaient eux aussi pour se partager le continent. Il est hasardeux, de vouloir isoler la colonisation du centre de l’Afrique de ce qui se passait ailleurs sur le continent. C’est une course effrénée qui s’organise à la fin du xix e siècle. Chaque puissance a ses objectifs en fonction desquels elle oriente sa politique.

La politique menée sur le vieux continent explique aussi pour partie l’attitude des États à la conférence de Berlin. La Prusse et ses alliés qui l’ont emporté sur la France en 1870 sont occupés sous la férule de Bismarck à bâtir le nouvel État allemand. Pour un temps, l’Allemagne n’est donc pas réellement intéressée par la course à la colonisation. La France, qui a perdu l’Alsace-Lorraine, cherche, elle, à faire oublier sa cuisante défaite par une politique coloniale active. Pour les diplomates de ces deux États, les ambitions impériales de Léopold II sont plutôt perçues de façon positive car elles contribuent, estiment-ils, à fortifier un État tampon entre eux deux en Europe (même si l’État indépendant est formellement distinct du royaume de Belgique).

L’arrivée des Européens au cœur du continent est inséparable de personnalités telles que Stanley et Brazza. On a coutume de les opposer quitte à les caricaturer. Dans un livre remarquable, Les Fantômes du roi Léopold. La terreur coloniale dans l’État du Congo (Texto, Paris, 2007), Adam Hochschild dresse de Stanley un portrait sévère, beaucoup trop sévère selon David Van Reybrouck. L’auteur du magistral Congo. Une histoire (Actes Sud, Arles, 2013) juge que l’on a caricaturé Stanley mais que, en revanche, on a été trop indulgent avec Savorgnan de Brazza. Il est vrai que la presse française de l’époque n’a pas été tendre pour l’explorateur britannique auquel elle oppose de façon très manichéenne l’humanisme de Brazza. Dans le flot des livres consacrés à l’explorateur français j’ai retenu celui, très précis, de Charles Bréard et Didier Neuville, Les Voyages de Savorgnan de Brazza : Ogôoué et Congo (1875-1882) (Berger-Levrault, Paris, 1884).

Je n’en ai pas trouvé un seul qui porte au final un jugement négatif sur l’explorateur français. La plupart sont hagiographiques, tel celui que lui a consacré René Maran (Savorgnan de Brazza, Paris, 1951, réédité en 2009 par les Éditions du Dauphin).

Sur le roi Léopold II, la littérature est abondante, et elle ne cesse de grossir. Un article très bien documenté a été publié par la revue Hérodote en 1986 qui résume bien la personnalité du roi belge et ses manœuvres pour se tailler en Afrique un royaume de la taille d’un continent : Un roi-homme d’affaires, des géographes et le tracé des frontières de l’État indépendant du Congo (Zaïre), par le géographe René de Maximy et l’historienne Marie-Christine Brugaillère.

À propos de la conférence de Berlin, on peut consulter Le Congo contemporain. Comment se forma l’État indépendant du Congo d’Oscar Libotte ( www.urome.be), Les Colonies françaises. Un siècle d’expansion coloniale, de Marcel Dubois et Auguste Terrier (A. Challamel, Paris, 1900) et Le Congo illustré ou l’État indépendant du Congo (Afrique centrale) sous la souveraineté de S.M. Léopold II, roi des Belges (H. Dessein, Liège, 1888) d’Alexis-Marie Gochet. À sa façon, caustique et terrifiante, l’écrivain Eric Vuillard a de son côté rendu compte de l’atmosphère de la conférence internationale dans Congo (Coll. Babel, Actes Sud, Arles, 2014).

J’évoque le compromis au terme duquel était prévue la cession à la France des possessions de l’Association internationale du Congo en cas de force majeure. Il figure dans un courrier adressé par son président, le colonel Strauch, au président du Conseil, Jules Ferry, le 23 avril 1884. Il écrit : « L’Association, désirant donner une nouvelle preuve de ses sentiments amicaux pour la France, s’engage à lui donner le droit de préférence, si, par des circonstances imprévues, l’Association était amenée un jour à réaliser ses possessions. » Jules Ferry lui répondit (courrier du 24 avril 1884) que, dans ces conditions, la France s’engageait à « respecter les stations et les territoires libres de l’Association et [à] ne pas mettre d’obstacle à l’exercice de ses droits ».

L’unique document où il est question des risques que fait courir à terme la coupure en deux d’ethnies selon qu’elles sont installées d’un côté ou de l’autre des cours d’eau qui servent de frontière entre la France et le futur Congo belge, est un rapport de Charles de Chavannes, le résident du Bas-Congo-Niari, daté du 18 janvier 1888. Il est cité par Georges Mazenot.

La question centrale des frontières entre l’État indépendant du Congo et la France est passionnante mais très embrouillée. Tenter de suivre en détail la querelle se révèle une gageure. Heureusement, des universitaires s’y sont essayés et ont réussi à la rendre intelligible. Parmi eux figurent notamment Yves Boulvert (Le Problème de l’Oubangui-Ouellé où comment fut exploré et reconstitué un réseau hydrographique à la fin du xix e siècle, Cahiers de l’Orstom, Série Sciences humaines, volume XXI, n n° 4, 1985), et Georges Mazenot, le plus érudit sur la question de la fameuse autant que fantomatique Licona-Nkundja (Le Problème de la Licona-Nkundja et la délimitation du Congo français et de l’État indépendant, Cahiers d’études africaines, 1967, Volume 7, n° 25, 1967).

Enfin, il faut signaler la synthèse qu’en ont faite Danielle Lecoq et Antoine Chambard (Terre à découvrir, Terres à parcourir : Exploration et connaissance du monde, xii e au xix e siècle. Université Diderot, 1996, L’Harmattan, Paris, 1998).

La querelle sur le point de savoir qui, du Ouellé ou du Mbomou, est le cours amont de l’Oubangui a été tranchée par les géographes : c’est le Ouellé. Les Français avaient donc raison. L’étude détaillée de l’hydrologie des deux cours d’eau figure dans un CD Rom publié par l’IRD Marseille sous le titre Le Bassin de l’Oubangui (J. Callède, Y. Boulvert, J.-P. Thiebaux).

À propos des joutes parlementaires qui opposèrent Jules Ferry et Georges Clemenceau en 1855 sur la politique coloniale française et ses fondements je me suis référé pour l’essentiel aux débats de l’époque réédités à l’initiative de Gilles Manceron qui signe une introduction qui éclaire parfaitement les enjeux de l’époque (1885 : le tournant colonial de la République. Jules Ferry contre Georges Clemenceau, et autres affrontements parlementaires sur la conquête coloniale. La Découverte/Poche, Paris, 2007).

Chapitre 4. L’arbre aux fusils

Les journaux qui rendent compte des explorations menées à la fin du xix e siècle en Afrique comme dans le reste du monde sont très nombreux et leur public varié. Certains titres s’adressent aux fidèles des sociétés de géographie ; d’autres visent le grand public. Pour cette presse, la mort de Maurice Musy, dont ils font un martyr (en particulier la presse liée au lobby colonial), est un événement de première importance qu’ils relatent à la manière d’un feuilleton. Les dix lettres de Musy à son père sont publiées au compte-gouttes dans la Revue de géographie tout comme celle, également adressée au père de Musy, où Crampel relate les funérailles du jeune homme au poste militaire de Bangui. En revanche, c’est dans le livre Nos Africains (Hachette, Paris, 1894) d’Harry Alis (le pseudonyme de Jules-Hippolyte Percher) que l’on peut lire le récit du chef de caravane de la mission Crampel, Albert Nebout, parti récupérer la dépouille de Musy.

Par la suite, les restes de Maurice Musy seront déplacés à plusieurs reprises au gré des déménagements du poste militaire français qui, à cause des variations de niveau de l’Oubangui, changera trois fois d’emplacement en quelques mois pour être finalement implanté (par le successeur de Musy) plus en amont, à la hauteur des rapides, en face du poste militaire belge de Zongo.

Sur la naissance de Bangui, les travaux de Jean Cantournet font référence. On consultera en particulier son étude Note sur les origines de la création de Bangui (1986), qui se compose de 12 feuillets dactylographiés et de 9 feuilles de documents (disponibles sur le site de la Bibliothèque nationale de France). Cantournet note dans une annexe de son étude que les Belges avaient brièvement pris possession de la rive droite de l’Oubangui avant l’arrivée des Français. En 1887, ils avaient gravé sur le tronc d’un arbre les initiales EIC, pour État indépendant du Congo.

Aujourd’hui, à la suite de l’extension de la ville de Bangui, la dépouille de Musy repose dans un carré surmonté d’une croix de Lorraine au cimetière de Ndress, le plus vaste de la capitale. C’est un endroit étrange. Il n’est pas clos. Les tombes, rarement en dur, y sont à touche-touche et disparaissent souvent sous les hautes herbes. Certaines parties sont volontairement brûlées. Le lieu n’a rien de triste. Les enterrements y sont incessants. Les cercueils sont portés à bout de bras sur fond de musique, de chants et de rires.

Si Maurice Musy n’a pas fait l’objet d’une biographie, Yves Boulvert a retracé les principales étapes de sa vie dans Hommes et destins (tome XI, ASOM, L’Harmattan, Paris, 2011).

Concernant la pratique de l’anthropophagie voici la description qu’en fait Musy dans sa dixième lettre : « Le malheureux est amarré par le pied, de manière qu’il ne puisse pas marcher, tout en ayant la libre disposition de ses membres. On lui donne à manger tout ce qu’il veut et tant qu’il veut, pendant un certain temps. Quand il est en bon point, on le mène au lieu du supplice.

« Deux piquets recourbés par le haut sont fichés en terre de telle sorte que les bras du patient y soient maintenus solidement. Il est, lui, assis sur une traverse qui relie les deux piquets. Solidement attaché, il fait face à un arbre très flexible au bout duquel est fixée une liane terminée à l’autre bout par un nœud coulant. Ce nœud, passé au cou de la victime tient d’une part courbé l’arbre qui fait office de ressort, et de l’autre, maintient le cou autant que faire se peut.

« Dans cette position l’exécuteur tranche le cou d’un seul coup de couteau, et l’arbre se redressant brusquement jette la tête en l’air. La suprême élégance consiste à rattraper cette tête tranchée à la pointe d’un couteau.

« Le corps est ensuite dépecé par les femmes avec autant d’art que pourrait en mettre le plus fin boucher d’Europe. […] »

Chapitre 5. Les perles de verre

Entre tous les apôtres de l’entreprise coloniale, il y en a un qui sort du lot, Hyppolyte Percher, dit « Harry Alis », tant il a fait preuve d’activisme. Même s’il n’a guère voyagé, sa vie pittoresque ne manque pas de sel. Les grandes lignes de sa biographie figurent sur une plate-forme scientifique spécialisée dans la presse du xix e siècle publiée par Media 19, et consultable sur Internet. C’est au journal d’André Nebout que j’ai emprunté le jugement, peu aimable, sur Paul Crampel et son « négrophilisme » supposé.

La mission Gentil a suscité la publication de maints ouvrages. Émile Gentil lui-même l’a racontée. On lira notamment de ce dernier La Chute de l’empire de Rabah. La mission Gentil du Congo au lac Tchad (Hachette, Paris, 1901). Les amateurs de reliques laïques auront à cœur de faire le déplacement au musée des Troupes de marine, à Fréjus, où un fragment de la carcasse du bateau de Gentil, le Léon Blot, est exposé après son rapatriement en France en 2004. Le bateau a navigué en Afrique jusqu’en 1945 avant d’être laissé à l’abandon.

Pour des données plus générales sur les campagnes d’exploration, Georges Bruel a laissé un ouvrage instructif, L’Oubangui : voie de pénétration dans l’Afrique centrale française (Plon, Paris, 1899). À signaler également, le journal d’un des compagnons de Gentil, Pierre Prins, un jeune homme sensible et courageux dont le journal, ressuscité par ses descendants, a fait l’objet d’une publication récente (en deux tomes) sous le titre Une histoire inconnue de l’Afrique centrale 1895-1899 (CTHS, 2013). L’ouvrage est captivant de bout en bout et donne notamment une idée précise de la barbarie qui entourait la traite des Noirs à la fin du xix e siècle.

Bien d’autres explorateurs de retour en France ont fait partager leur odyssée à un public avide d’exotisme ou simplement à leurs proches. Parmi les souvenirs qui sortent du lot, figurent ceux de l’enseigne de vaisseau Henri de Parseval auteur de Mission au Congo. Transport du Jacques d’Uzès de l’Oubangui au Chari en 1904 (document consultable à l’adresse http://www.parseval.fr), ceux de Charles Pierre, de la mission Bonnel de Mézières, publiés dans les Annales de géographie (tome II, n° 55) en 1902 et de Casimir Maistre, À travers l’Afrique centrale, du Congo au Niger (Hachette, Paris, 1895).

Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler, à l’heure où l’on s’inquiète de l’assèchement du lac Tchad, que cinq ans après la mission Gentil, un explorateur botaniste, Auguste Chevalier, qui avait atteint les eaux du lac concluait : « Toute cette contrée est en train de s’assécher et l’assèchement du lac Tchad lui-même n’est qu’une affaire de siècles. »

Pour la partie consacrée au portage je me suis appuyé sur les travaux de Pierre Mollion, Sur les pistes de l’Oubangui-Chari au Tchad : 1890-1930 : le drame du portage en Afrique centrale (L’Harmattan, Paris, 1992), ceux de Jean Cantournet, L’Axe de ravitaillement du Tchad entre 1900 et 1905. Route de vie. Routes de mort (L’Harmattan, Paris, 2001). Parmi les solutions alternatives au portage figurait le recours à l’éléphant. Jules Verne l’avait déjà suggéré, dans son roman Le Village aérien, lorsqu’il écrivait : « Si nombreux qu’ils soient, l’espèce finira par disparaître. […] On le chasse à outrance. […] Ne serait-il pas sage d’en tirer parti pour la domestication ? »

J’ai emprunté à Pierre Kalck et à sa magistrale et incontournable Histoire centrafricaine la citation des entreprises commerciales qui, prenant avec hypocrisie la défense des Noirs, osèrent s’insurger contre la fin du portage.

Chapitre 6. Le drapeau dans une main, la Bible dans l’autre

Monseigneur Augouard a écrit autant qu’il a voyagé. Il a notamment laissé une correspondance volumineuse reprise en plusieurs volumes par son frère chanoine. L’ouvrage de base auquel je me suis référé pour la plupart des citations de l’évêque est 28 années au Congo : lettres de Mgr Augouard (2 tomes, Société française d’imprimerie et de librairie, Poitiers, 1905) complété par Dernier Voyage dans l’Oubanghi et l’Alima (Imprimerie de M. Bluté, à Ligugé, Vienne, 1899) qui regroupe d’autres lettres adressées à son frère par celui qui devenu le vicaire apostolique de l’Oubanghi.

La conférence donnée par Mgr Augouard à Poitiers le 3 juin 1890 a fait l’objet d’une version papier sous le titre La Mission de l’Oubangui (Typographie Oudin et Cie, 1890).

La sévérité du jugement de Marchand sur Augouard apparaît clairement dans des lettres de l’explorateur étudiées par Michel Marc dans Deux Lettres de Marchand à Léotard (Revue française d’histoire d’outre-mer, tome 52, n° 186, 1965).

Parmi les missionnaires contemporains de Mgr Augouard, j’ai retenu le père Joseph Daigre, auteur du très intéressant Chez les Bandas (in Annales de la propagation de la foi, tome 84, 1912).

Pour la vision des Noirs qu’avaient nombre d’intellectuels il y a un siècle, je renvoie à Ernest Psichari et à son Terres de soleil et de sommeil (Calmann-Lévy, Paris, 1908).

Pour la christianisation du Congo français j’ai consulté l’article de Côme Kinata, La Christianisation en Afrique équatoriale française, publié dans la revue Outre-mers (tome 95, n° 358-359, 2008) dans le cadre d’un numéro spécial 1958 et l’outre-mer français (sous la direction de Yvan Combeau). Mes autres sources ont été : du père Carlo Toso, Centrafrique, un siècle d’évangélisation (Conférence épiscopale centrafricaine, 1994), Le Congo français, de Mgr Alexandre Le Roy (in Annales de la propagation de la foi, Tome 84), Les Pères blancs au temps de la conquête coloniale. Histoire des missionnaires d’Afrique (Karthala, Paris, 2011), d’Aylward Shorter. Sur Internet, j’ai tiré profit d’un document rédigé par les frères mineurs capucins, L’Histoire officieuse du nord-ouest oubanguien qui traite notamment de la question de l’esclavage.

Dans Sorcellerie et prophétisme en Centrafrique. L’imaginaire de la dépossession en pays banda (Karthala, Paris, 2014), Andrea Ceriana Mayneri évoque les encouragements adressés par Brazza à Augouard pour qu’il contienne autant que possible la pénétration des protestants le long de l’Oubangui.

Les villages de la liberté ont fait l’objet d’une littérature au final assez mince. Mais l’historienne Denise Bouche a présenté au 90e Congrès national des sociétés savantes, tenu à Nice en 1965, une étude éclairante sous le titre Le Village de liberté de Saint-Henri, près la mission de la Sainte-Famille des Ouaddas (1894-1929) à laquelle j’ai emprunté beaucoup. La lecture du Rapport sur le village de Saint-Henri, du père Joseph Daigre (Bulletin de la société antiesclavagiste de France, n° 49, 1907) m’a également été utile.

Chapitre 7. Une orgie de concessions

C’est Albert Sarraut, ministre (radical) des Colonies qui qualifie à juste titre la colonisation d’« acte de force, de force intéressée ». J’ai extrait la citation de l’ouvrage de Gilbert Comte, L’Aventure coloniale de la France. L’empire triomphant (1871-1936) (Denoël, Paris, 1990), premier tome d’une ambitieuse histoire de la colonisation, une œuvre collective riche de six tomes. Dans la collection « Destins croisés », le même éditeur a publié en 1998, de Jean-Joël Brégeon Un rêve d’Afrique. Administrateurs en Oubangui-Chari. La Cendrillon de l’Empire, qui, à partir d’enquêtes et de questionnaires auxquels ont répondu d’anciens administrateurs, offre un panorama complet de leur travail. C’est de son livre que j’ai extrait les données sur les résultats financiers des entreprises installées dans le Congo de Léopold II.

La citation de Paul Leroy-Beaulieu (« C’est une orgie de concessions ») se trouve dans Histoire centrafricaine de Pierre Kalck. Plusieurs autres figurent dans le livre que je cite dans le chapitre. L’expression « flibuste coloniale » est reprise d’un article du journal L’Intransigeant tandis que les deux suivantes proviennent de La Petite République (27 décembre 1899) et des Cahiers de la quinzaine (Le Congo français, 10 février 1906).

Lorsque Mgr Le Roy proteste contre la mise à l’écart des Noirs dans le tracé des frontières de l’Oubangui-Chari, il le fait dans les colonnes des Annales pour la propagation de la foi (1912).

Le récit du tracé de la frontière est, réalisé par les équipes française et britannique, a fait l’objet d’un article du lieutenant-colonel Noirel, sous le titre La Délimitation de l’Afrique équatoriale française et du Soudan anglo-égyptien dans les Annales de géographie (1925, volume 34, n° 191). Le texte officiel fixant la frontière est d’une précision diabolique. Il est déposé à l’ONU et consultable en ligne.

Sur la quête de l’ivoire et plus généralement la chasse, je ne peux que recommander la lecture de la thèse de Pierre-Armand Roulet, Chasseur blanc, cœur noir ? La chasse sportive en Afrique centrale (IRD et université d’Orléans, 2004), disponible sur Internet. Elle constitue une mine d’informations et de découvertes pour quiconque s’intéresse à cette question traitée aussi bien sous l’angle politique qu’économique.

Sur la récolte du caoutchouc, l’universitaire Maurice Saragba a donné de précieux détails dans un livre numérique <www.lesamisdelacentrafrique.com/louvrage-de-maurice-saragba> De l’Oubangui-Chari à la République centrafricaine. Naissance et évolution historique d’une colonie française (1889-1960).

La partie consacrée aux entreprises concessionnaires et aux abus commis par elles doit évidemment beaucoup à Catherine Coquery-Vidrovitch. Ses travaux sur la question font autorité à juste titre. C’est notamment elle qui a exhumé et publié le rapport Brazza que l’on pensait disparu alors qu’il dormait depuis près d’un siècle dans un fonds d’archives. Il est disponible sous le titre Rapport Brazza. Mission d’enquête du Congo : rapport et documents (1905-1907). Mission Pierre Savorgnan de Brazza. Commission Lanessan (Le Passager clandestin, Neuvy-en-Champagne, 2014). On doit à Renée Jaugeon un article lumineux et très complet sur la question. C’est celui publié sous le titre Les Sociétés d’exploitation au Congo et l’opinion française de 1890 à 1906 (Revue française d’histoire d’outre-mer, tome 48, n° 172-173, 1961).

Pour des renseignements complémentaires sur la sanglante affaire Duquenne on peut consulter le document Akatora. L’histoire officieuse du nord-ouest oubanguien. Frères mineurs capucins <www.benabe.org/index.php?idinfo=379>.

Chapitre 8. Le bal

Le procès de Gaud et Toqué, s’ouvre le 21 août 1905 à Brazzaville, donc deux ans après les faits, alors que celui qui a fait fuiter les premières informations en direction de la presse, le docteur Le Maout, vient de décéder des suites d’une maladie. Un témoignage précieux fait donc défaut et ce à une époque où les récits des Noirs, lorsqu’ils sont pris en compte par la justice, sont considérés comme manquant de fiabilité. Un seul journaliste couvre les audiences sur place, Félicien Challaye, envoyé spécial du Temps et par ailleurs membre de la mission Brazza, qui est en train de s’achever.

J’emprunte au livre de Gilbert Comte (déjà cité) la réflexion scandalisée d’un Blanc à l’énoncé du verdict du procès de Gaud et Toqué, jugé par lui trop sévère. Après sa libération, Toqué écrira un ouvrage pour tenter de se dédouaner, Les Massacres du Congo (La Librairie mondiale, 1907 réédité par L’Harmattan, coll. Racines du présent, Paris, 1996) qui n’aura guère de succès lors de sa sortie. Compromis avec les Allemands pendant la Première Guerre mondiale, Toqué sera condamné à mort et fusillé en 1920 à Vincennes. Quant à Georges Pacha, son comportement criminel ne nuira pas à sa carrière. Il terminera sa vie professionnelle à la Direction du contrôle financier de l’AOF.

Différents témoignages sur les atrocités perpétrées en Oubangui-Chari que je cite ont été publiés dans le Bulletin de la Ligue française et Ligue suisse pour la défense des indigènes dans le bassin conventionnel du Congo (n° 5, mai-août 1909). Le père Daigre, de son côté, a rassemblé ses souvenirs dans un livre Oubangui-Chari, témoignage sur son évolution, 1900-1940 (Dillien et Cie, Issoudun, 1947) mais, dès 1912, il témoignait dans des revues religieuses.

Le périple africain d’André Gide est évoqué, de façon succincte, dans la biographie que lui a consacrée Franck Lestringant, André Gide l’inquiéteur (tome 2, Flammarion, 2012). Mais on peut relire avec profit les écrits de Gide dont Voyage au Congo suivi de Le Retour du Tchad. Carnets de route (Gallimard, 1995). En 2014, Sophie Malexis a rédigé un beau texte d’introduction pour l’exposition organisée au musée Henri-Martin à Cahors. Intitulé Le “Voyage au Congo” d’André Gide. Un film et un livre revisités, il résume bien l’atmosphère du voyage.

Si l’on a reproché à Gide certains de ses jugements sur les Noirs, un autre écrivain, Georges Simenon, n’est pas moins déroutant lorsque, à vingt-huit ans, voyageant au Congo belge, en 1931, il écrit toujours à propos des Noirs : « Ils sont des millions […] dans l’Afrique sans bornes qui vivent parce qu’ils sont nés et qu’ils ne sont pas encore morts, sans jamais avoir eu l’idée de se demander s’ils sont heureux. Savent-ils seulement ce que cela veut dire ? » (Simenon et l’Afrique, Communication de Georges-Henri Dumont. Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, 2007.)

Sévère à l’encontre d’Albert Londres (on lira Terre d’ébène, Arléa, Paris, 2008), le journaliste Julien Maigret a évoqué ses souvenirs de « colonial de la vielle époque » dans un entretien diffusé par la Radio diffusion nationale, le 6 avril 1955. Un missionnaire, Jean Ernoult, signale dans son livre, Les Spiritains au Congo de 1865 à nos jours. Matériaux pour une histoire de l’Église au Congo, que des Chinois, dont il ne précise ni la provenance ni le statut, travaillaient à la construction du chemin de fer Congo-Océan en 1926.

Chapitre 9. La guerre du manche de houe

La maquette de l’exposition coloniale de 1931, exposée à la Cité nationale de l’immigration (l’ex-musée des Colonies), au bois de Vincennes, à Paris, donne une bonne idée de son ampleur. Gilbert Comte en parle avec beaucoup de finesse dans son livre L’Empire triomphant (déjà cité) ainsi que Jean-Noël Bregeon (Un rêve d’Afrique). Les deux ouvrages m’ont accompagné dans ce chapitre qu’il s’agisse de l’exposition coloniale, du statut de l’indigénat, du sous-encadrement de l’Oubangui-Chari ou de la mortalité effrayante qui touchait les Noirs – mais également les Blancs. À consulter également L’Humanité du 7 mai 1931 pour avoir un regard critique sur l’exposition parmi le flot d’articles élogieux de la presse. Peut-être convient-il de rappeler que toutes les puissances coloniales, et pas seulement la France, organisaient alors des expositions pour montrer la richesse de leur empire.

Pour le code de l’indigénat (quel pays colonial n’en a pas adopté un ?), j’ai puisé dans le travail de Pierre Kalck et la thèse d’Emmanuel Kouroussou Gaoukane, La Justice indigène en Oubangui-Chari (1910-1940) (université d’Aix-en-Provence, 1985). Jacques Serre, dans son Histoire de la République centrafricaine (Imprimerie centrale d’Afrique, Bangui, 1964), un ouvrage bref mais dense, évoque de son côté les incessants redécoupages administratifs de la colonie.

Parmi les mesures (bien tardives) prises pour protéger les Noirs face à leur employeur, était prévue la passation d’un contrat de travail devant un fonctionnaire en cas d’embauche de plus de trois mois. Paradoxalement, cette mesure aura des effets pervers et conduira à poursuivre des Noirs pour rupture de contrat (certains prenaient la fuite ne serait-ce que pour aller cultiver leurs champs) et donc à grossir les rangs des prisonniers prestataires de service.

Le bilan de la guerre du Kongo-Wara a son historien, Raphaël Nzabakomada-Yakoma, l’auteur de L’Afrique centrale insurgée : la guerre du Kongo-Wara (1928-1930) (L’Harmattan, Paris, 1986). S’il reste prudent sur le bilan humain, lui-même, comme Jean-Joël Bregeon, l’évalue à plusieurs milliers de morts et estime à 50 000 le nombre d’insurgés. Les témoignages parcellaires que je cite sont extraits de Akatora, l’histoire officieuse du nord-ouest oubanguien (déjà cité).

La fin de la guerre du Kongo-Wara – déclenchée par Karnu (également orthographié Karnou ou Karinou, selon les sources) – divise les historiens. Pour certains, les affrontements de novembre 1930 ne s’inscrivent pas dans le cadre du conflit. Ils obéissaient à d’autres motifs.

Chapitre 10. « Sale cochon de nègre »

Faut-il assimiler ou pas les Noirs ? Autrement dit, faut-il les amener à adopter la culture des Blancs ou, au contraire, les laisser libres de conserver l’essentiel de leurs coutumes ? La question a donné lieu dans les milieux politiques à quantité de débats contradictoires et variables selon les périodes, les clivages politiques, les intérêts du moment. Elle a également agité les milieux religieux, et ce bien avant la Seconde Guerre mondiale. En 1930, les catholiques qui participent aux Semaines sociales de Marseille privilégient le « plein épanouissement économique, spirituel et moral de tous les peuples » plutôt que « leur assimilation aux Européens ». Ça n’était pas la position du jeune abbé Boganda lorsqu’il partait en croisade dans la brousse pour détruire les fétiches et les croyances qui y étaient attachées.

Les « Évolués », à ma connaissance, n’ont pas fait l’objet de travaux universitaires d’envergure en France alors qu’en Belgique de nombreux ouvrages leur sont consacrés. C’est pourtant un thème passionnant. Une question pratique (voir La France libre fut africaine, d’Éric Jennings, Perrin, ministère de la Défense, 2014) témoigne de l’ambiguïté de la notion. Doit-on par exemple autoriser les « Évolués » à consommer de l’alcool ou pas ? Un décret de 1941 interdit la vente d’alcool aux Africains. Félix Éboué, qui a introduit le statut d’Évolué en AEF, demande au procureur général de Brazzaville de surseoir à son application car, écrit-il, « il convient de tenir compte […] d’une classe évoluée qui a pris, comme beaucoup d’Européens, l’habitude de boire du vin aux repas » et qu’il n’y a « aucune raison pour interdire à ces indigènes l’usage d’une boisson qui ne peut être considérée comme dangereuse que par l’abus qu’on peut en faire ».

La vie de Boganda telle que je la raconte doit beaucoup à la biographie que lui a consacrée Pierre Kalck, Barthélemy Boganda, Élu de Dieu et des Centrafricains (Sépia, Paris, 1995) ainsi qu’à l’ouvrage de Côme Kinata, Barthélemy Boganda et l’Église catholique en Oubangui-Chari (Cahiers d’études africaines, 2008). Ce sont deux livres incontournables. J’ai également trouvé des témoignages sur les relations difficiles entretenues par Boganda avec les prêtres blancs dans les Souvenirs d’Oubangui-Chari et de Haute-Volta, 1957-1959 de Claude Lestrade (consultable à la bibliothèque de l’Académie des sciences d’outre-mer). Pour l’activité politique du député Boganda, l’Assemblée nationale l’a recensée avec précision sur son site <www.assemblee-nationale.fr>.

Des entretiens ont contribué à enrichir ce chapitre. Parmi les personnes rencontrées figurent des religieux (Mgr Mathos, Mgr Ndayen, sœur Paulette, le père Roger Tabard) ainsi que Jacques Serre, un ancien administrateur colonial, et Martin Ziguélé, ex-Premier ministre.

Chapitre 11. Le prophète foudroyé

Plusieurs des ouvrages (livres, journaux) que j’ai utilisés dans le précédent chapitre m’ont également servi pour celui-ci. Doivent y être ajoutés Foccart parle. Entretiens avec Philippe Gaillard (Fayard, Paris, 1995), ainsi que l’article de Jean-Dominique Penel consacré aux sept tentatives pour lever l’immunité parlementaire de Boganda entre 1949 et 1953. Ce dernier, publié dans la revue Civilisations (n° 41, 1993), est consultable sur Internet <https://civilisations.revues.org/1734>. Jean-Dominique Penel est par ailleurs l’auteur de Barthélemy Boganda. Écrits et discours (L’Harmattan, Paris, 1995).

Qualifié de « petit sorcier de l’Oubangui » par le président Léopold Sédar Senghor, Boganda, lorsqu’il quitte le groupe MRP n’a pas rejoint tout de suite les rangs des non-inscrits. De 1951 à fin 1955 il siège au sein du groupe du Centre républicain d’action paysanne et sociale et des Démocrates indépendants. À l’occasion d’un scrutin législatif, pendant cette période, un tract, attribué par Boganda à l’évêché, expliquait que voter pour le député sortant c’était commettre rien moins qu’un péché mortel (de ceux qui vous condamnent à l’enfer).

Les documents concernant Roger Guérillot sont rares. Il n’a pas inspiré d’auteurs même si une biographie précise et solide sur celui que Le Figaro avait qualifié de « colon touché par la grâce du MESAN » (Le Figaro, 31 janvier et 3 février 1958) est disponible sur Internet <https://fr.wikipedia.org/wiki/Roger_Guérillot>. L’échec de la campagne de relance de la culture du coton aboutira à écarter Guérillot qui sera envoyé en poste en France.

Que Boganda ait fait appel à un Français – un fonctionnaire de l’Orstom, un organisme public – pour composer l’hymne national peut paraître surprenant. En fait, ce fonctionnaire, Herbert Pepper, a également composé, dans les mêmes conditions, l’hymne national du Sénégal.

Concernant le drapeau du Centrafrique, une autre explication circule qui associe à chaque couleur non pas un pays de l’ex-AEF mais une vertu. Quant à la présence de l’étoile elle peut de la même façon renvoyer à celle qui figurait sur le drapeau du MESAN.

Les obsèques des victimes de l’accident du Nord -Atlas étaient commentées en direct par deux journalistes, l’un s’exprimant en français, l’autre en Sango. Pour la petite histoire, l’enregistrement audio conservé par l’INA comporte une séquence amusante qui n’a sans doute pas été diffusée à l’antenne. Elle se situe à la fin de la cérémonie. Une minute de silence est observée par la foule que le journaliste s’efforce de meubler par des commentaires. On entend alors distinctement une voix masculine anonyme lancer au journaliste d’un ton vif : « Il ne faut jamais parler sur une minute de silence. Jamais. Parlez avant, parlez après, mais pas pendant. »

La fragilité du Nord – Atlas 2502 (exploité par l’ancêtre de la compagnie UTA) résultait, selon les spécialistes, de l’ajout au bout des ailes de deux réacteurs d’appoint pour lui permettre de décoller sur des terrains très courts. Ces masses additionnelles amplifiaient le flottement de la voilure d’où le risque de fissures dans les fixations.

J’ai emprunté la description du lieu de la catastrophe à Bertrand Roumens, ancien commandant de bord à Air France. En 2005, il s’est rendu sur place muni du rapport des enquêteurs. Au cours de son périple, il a tenu un journal qu’il a bien voulu me confier.

Chapitre 12. Le Bangui-Rock-Club

Le reportage radio de la commémoration du deuxième anniversaire de la proclamation de la République existe. Plus complet que le reportage de la télévision française, il est également disponible sur le site de l’INA <www.ina.fr>.

Pour raconter les « années Dacko », outre les articles de presse, je me suis appuyé sur le témoignage et le livre de l’ancien administrateur, Jacques Serre David Dacko, premier président de la République centrafricaine (L’Harmattan, Paris, 2013). L’ouvrage est déconcertant car c’est une addition de souvenirs personnels de David Dacko et de textes de portée plus générale de Jacques Serre, qui fut son ami et son plus proche collaborateur. De ce mélange découle le côté déroutant du livre qui contient par ailleurs de précieuses informations et la biographie des hommes politiques du pays, de l’indépendance aux années Bokassa. Dans le livre, Dacko ne cache pas sa croyance aux forces obscures des sorciers et autres jeteurs de sort. Il en parle abondamment et leur attribue un pouvoir capital. Peu d’anciens responsables africains ont évoqué avec autant de franchise ce volet de leur culture.

La faiblesse des effectifs de l’armée, lorsque Bokassa s’empare du pouvoir, est à mettre en regard des forces plus importantes de la gendarmerie (490 hommes en 1964) ce qui ajoute à la rivalité très forte entre les deux corps.

Pour le putsch de Bokassa, j’ai trouvé un déroulé très détaillé dans l’article de Laurent Courreau, journaliste à RFI, qui a su mettre à profit l’ouverture des archives de Jacques Foccart pour éclairer ces journées. Le texte figure sur Internet <www.rfi.fr/afrique/20160210-archives-foccart-france-rca-coup-etat-bokassa-histoire> ainsi que les documents sur lesquels il s’appuie <www.graphics.rfi.fr/centrafrique-1966-foccart-bokassa-dacko-de-gaulle-diaporama>. Bien entendu, j’ai complété ce travail par la lecture du Journal de l’Élysée de Jacques Foccart. 1965-1967 (Fayard, Paris, 1997) et Foccart parle, entretiens avec Philippe Gaillard (déjà cité) ainsi que l’incontournable Bokassa Ier. Un empereur français de Géraldine Faes et Stephen Smith (Calmann-Lévy, Paris, 2000)

L’écrivain Romain Gary a raconté son séjour à Bangui et ses soirées au Bangui-Rock-Club dans La Promesse de l’aube (Gallimard-Folio, Paris, 2010).

À ces livres viennent s’ajouter des articles de presse, en particulier Le Monde (4 janvier 1966) et des entretiens avec sœur Paulette Petit, ainsi qu’avec Jean-Paul Ngoupandé et Jacques Serre que j’ai rencontrés peu avant leur disparition.

Chapitre 13. « Monsieur le président à vie »

La liste des réalisations supposées et réelles de Bokassa provient d’un article de Didier Bigo, « Le retour de Bokassa » (Politique africaine, 25 octobre 1986). À le lire, on comprend mieux pourquoi les Centrafricains continuent à avoir une image positive de l’ex-empereur (à des années-lumière de celle qui s’est imposée en France). C’est tellement vrai que deux des successeurs de l’ex-empereur, les présidents Kolingba et Patassé, tenteront de l’instrumentaliser pour se maintenir au pouvoir.

L’anecdote de Bokassa offrant un verre de whisky à Michel Gbézéra-Bria (actuel ambassadeur de la RCA en France) a été racontée par ce dernier au journal Le Citoyen (n° 4437, 30 octobre 2014). Mais c’est de vive voix, lors de divers entretiens, qu’il a évoqué sa jeunesse heureuse à Bangui dans les années 1970. Encore faut-il nuancer son récit et préciser que plusieurs de mes interlocuteurs centrafricains, appartenant à la même génération, voient d’un œil beaucoup plus critique cette période. À leurs yeux, dès les premières années de pouvoir, Bokassa avait commencé son œuvre de destruction économique du pays.

On a prêté au président Giscard d’Estaing (premier chef d’État français à se rendre en Centrafrique) d’autres motifs que l’amour de la chasse pour expliquer ses fréquents séjours au pays de Bokassa. Dans Femmes de dictateurs (Perrin, Paris, 2011), la journaliste Diane Ducret tente de lever un coin du voile. Ses révélations n’ont pas été démenties par l’ancien président.

Pour la cérémonie du sacre, j’ai retenu le reportage de Pierre George, envoyé spécial du Monde (6 décembre 1977). J’ai par ailleurs utilisé les multiples images des cérémonies qui existent et sont disponibles sur Internet. Certaines ont été tournées par l’armée française et offertes à Bokassa par le président français. Concernant l’hymne du couronnement, officiellement composé pour cette occasion, à l’écoute il se révèle très largement inspiré d’une œuvre du musicien tchèque Antonin Dvořák, The Water Goblin (L’Ondine, opus 107, B195).

Bien entendu, j’ai sollicité Alain Duhamel, le coanimateur de Cartes sur tables à propos de l’entretien accordé par Bokassa. Le journaliste n’a pas souhaité donner suite à ma demande. Quant à Jean-Pierre Elkabbach, il a admis, dans des portraits de lui publiés dans la presse, que l’entretien avec Bokassa n’est pas celui dont il est le plus fier.

Les détails concernant les états de service de Bokassa dans l’armée française sont tirés de La France libre fut africaine (déjà cité).

Chapitre 14. La prisonnière

L’idée de créer un service d’ordre du MESAN a été soufflée à Boganda par Guérillot. Appelé SOM (Service d’ordre du MESAN), il comprenait à son origine une soixantaine de personnes dont une majorité de Blancs. Des renseignements complémentaires sont disponibles sur la notice de Roger Guérillot, déjà citée.

Dans son Historical Dictionary of Central African Republic (The Scarecrow Press, Metuchen NJ, 1974), Pierre Kalck assure que Sacher a été nommé non pas régisseur mais directeur de la prison de Ngaragba, poste qu’il aurait conservé sous Bokassa jusqu’en décembre 1971 où, au lendemain de l’évasion d’un prisonnier, Bokassa, par mesure de rétorsion, condamne le Tchèque (qui a acquis la nationalité centrafricaine) à six mois de prison. Mais le 14 juillet de l’année suivante, jour de la fête nationale en France, Bokassa, libère Sacher et le nomme « conseiller technique » du nouveau directeur de la prison. Kalck se trompe probablement même si dans son livre, Dark Age : the Political Odyssey of Empereur Bokassa (McGill-Queen’s University Press, 1997), Brian Titley, raconte un autre épisode qui accrédite la thèse de Sacher directeur de la prison. Il concerne le coup d’État de la Saint-Sylvestre. Bokassa qui vient de prendre le pouvoir se rend à la prison de Ngaragba et exige la libération de tous les prisonniers dans un geste dont il espère qu’il le rendra populaire. Or celui qui l’accueille à la prison n’est autre qu’Otto Sacher, qualifié par l’auteur de directeur de l’établissement pénitentiaire. Dans un premier temps, Sacher tente de persuader Bokassa que libérer les prisonniers de droit commun n’est pas une bonne chose pour l’ordre public mais lorsqu’il aperçoit, dans un véhicule, le président Dacko sur lequel un soldat pointe le canon d’un révolver, il réalise la situation et obéit à l’ordre de Bokassa. La majorité des témoignages que j’ai pu consulter qualifient cependant Sacher de régisseur de la prison et non de directeur.

Envoyé spécial du Monde au lendemain de la chute de Bokassa, Pierre George a croisé Otto Sacher à Ngaragba. Voici quelques lignes du portrait qu’il en dresse (Le Monde, 27 septembre 1979) : « Ce n’est pas bien beau un bourreau qui sue la peur. Et cela ne l’est pas davantage une prison qui pue la mort. (…) À l’intérieur [de la prison], au milieu des soldats, il n’y avait plus qu’un seul homme, en costume gris, la barbe soigneusement taillée, qu’on excuse la comparaison, presque l’allure d’un missionnaire. Un missionnaire, le bon M. Sacher ? (…) “Je suis, dira-t-il, conseiller technique de la prison, son régisseur, depuis dix-huit ans.” Régisseur du palais des supplices, un bien beau titre de gloire ! La lèvre tremblante, psalmodiant sans arrêt “parole de légionnaire”.

« M. Sacher court au-devant des journalistes, au-devant des désirs des journalistes. Il veut tant le dire que ce n’est pas de sa faute. Pas de sa faute si, dans des cellules prévues pour accueillir 275 prisonniers, le régisseur en a empilé jusqu’à 1 500. Pas de sa faute si on a bastonné, torturé, mis à mort. D’ailleurs, c’est faux, parole de légionnaire (…).

« Au centre de la prison, le régisseur avait son jardinet secret, une manière de camp de concentration, modèle de poche. Douze cellules de la taille d’une cabine de douche. Pas de fenêtres, pas d’eau, pas de WC, pas de lumière, pas de lit, pas de paillasse. Rien que des murs et un sol : douze tombes. “Je n’avais pas de crédits”, a gémi la “crapule”. Sur les murs, ceux qui en eurent le temps tinrent à écrire maladroitement leur nom, et ceux qui ne l’eurent pas n’ont laissé pour toute signature que des griffures de sang. »

Le reportage d’Antenne 2 où l’on aperçoit Otto Sacher a été diffusé le 26 septembre 1979. Des photos de lui, officier dans les Forces françaises libres, peuvent être consultées sur Internet < http://www.francaislibres.net/liste/fiche.php?index=39685&page=1>www.francaislibres.net

J’ai pu visiter la prison de Ngaragba en janvier 2016, grâce à l’obligeance de « l’Albatros », le sobriquet de son régisseur. Elle faisait alors l’objet d’une rénovation, financée par l’Union européenne, au lendemain de l’évasion de la quasi-totalité des détenus.

Sur Bokassa et son règne, j’ai consulté des articles de presse dont « The Bokassa trial set. A precedent for Africa – Slowly and painfully », de Jonathan C. Randal (Washington Post, 1er février 1987) et l’article Ngaragba, « L’impossible prison », de Didier Bigo (Revue française de sciences politiques, n° 6, 1989). Un autre document indispensable est le film de Werner Herzog, Bokassa : Échos d’un sombre empire (France/Allemagne, 1990) où défilent nombre de protagonistes de cette tragi-comédie.

Concernant la folle aventure de Marie-Reine Hassen, c’est elle-même qui me l’a racontée. Pour ces pages, j’ai également rencontré Mgr Ndayen, le père Roger Tabard, Michel Gbézéra-Bria.

Chapitre 15. Le vice-roi de Bangui

L’éviction de Bokassa et le retour de Dacko ont nourri nombre de reportages de la presse écrite et audiovisuelle. Ceux du Monde sont exhaustifs. Ils permettent de suivre les explications changeantes et fantaisistes de Dacko concernant les circonstances de son retour à Bangui et le rôle de la France. Très rapidement, les journalistes prennent la mesure des incohérences et des mensonges du récit de Dacko et de ses protecteurs français. Un temps, par exemple, Dacko affirmera qu’il était arrivé à Bangui, non pas en compagnie des commandos du SDECE, mais plusieurs jours avant l’intervention française et qu’il vivait caché dans la capitale. Très rapidement également la presse réalise que Dacko n’est pas à la hauteur de la tâche qui l’attend.

Pour un récit détaillé de la chute de Bokassa, je me suis référé au livre de Géraldine Faes et Stephen Smith, déjà cité.

La séquence où l’on voit, à la chute de Dacko, un militaire incapable d’indiquer le portefeuille dont il a la charge est disponible sur le site de l’INA. La séquence a été diffusée par TF1 le 4 septembre 1981.

Les années Kolingba que je raconte doivent beaucoup aux entretiens que j’ai menés en 2015 et 2016 avec Alain Pallu de Beaupuy, (par téléphone), Thierry Bingaba, ministre sous Kolingba, Michel Roussin, Jacques Serre (pour le retour de Dacko), Mgr Ndayen, Bernard et Rémy Maréchaux et, bien sûr, Jean-Claude Mantion.

Au cours de nos entretiens, Mantion a contesté l’idée d’une quelconque politique d’ethnicisation de la garde présidentielle (qui porte le nom officiel de Sécurité présidentielle) et de la prééminence accordée aux Yakomas (l’ethnie de Kolingba) dans ce corps d’élite. Le « vice-roi » assure qu’il avait imposé comme règle qu’« aucune ethnie, s’alliant avec une ethnie proche, ne pouvait dépasser le quart de l’effectif global ». Un métissage identique était observé pour les gardes du corps du chef de l’État. En revanche, Mantion a confirmé que l’armée (en particulier l’escadron blindé), la police et la gendarmerie étaient très « yakomisés ». C’était, selon lui, le prix à payer par Kolingba pour neutraliser les plus extrémistes de son camp.

Les livres sur cette période ne manquent pas mais ils n’en couvrent que des aspects fragmentaires. J’ai retenu Verbatim 1, 1981-1986 (Fayard, Paris, 1993) de Jacques Attali, Mémoires d’Afrique (1981-1998). Entretiens avec Claude Wauthier (Fayard, Paris, 1999) de Guy Penne, Au cœur du secret. 1 500 jours aux commandes de la DGSE (Fayard, Paris, 1995) de Charles Silberzahn (avec Jean Guisnel), ainsi que des articles du Monde (17 mars 1982, 29-30 juin 1997) et les ouvrages plus généraux déjà cités.

Pour expliquer l’animosité de Guy Penne à son encontre, Mantion avance une explication – invérifiable : le M. Afrique de Mitterrand serait venu réclamer de l’argent au président Kolingba pour le compte de l’Élysée. Mantion se serait opposé à un quelconque versement.

Chapitre 16. Le temps d’Ubu

Les témoins des années Patassé et Bozizé ne manquent pas. J’en ai rencontré plusieurs, dont Karim Meckassoua, l’actuel président de l’Assemblée nationale, Guy Labertit (ancien responsable Afrique du Parti socialiste), l’ancien ambassadeur de France Jean-Marc Simon, Anicet Dologuélé, Martin Ziguélé, Landry Touaboy, l’ancien ministre des Finances Théodore Dabanga, le général Parfait Mbaye. D’autres ont préféré rester anonymes.

Parmi les sources écrites, le plus remarquable état des lieux du pays des années Bozizé est celui dressé par un juriste, en poste à l’ambassade de France à Bangui pendant plusieurs années, Didier Niewiadowski, auteur de La République centrafricaine : le naufrage d’un État, l’agonie d’une Nation (disponible sur Internet). Diverses ONG ont également publié des rapports instructifs, en particulier International Crisis Group, avec République centrafricaine : anatomie d’un État fantôme (n° 136, décembre 2007) et Centrafrique : les racines de la violence (n° 230, septembre 2015), Amnesty International, République centrafricaine. Après des décennies de violence il est temps d’agir (2011), et la FIDH, République centrafricaine : un pays aux mains des criminels de guerre de la Seleka (2013) (voir leurs sites Internet). Dans la presse, j’ai retenu Libération (9 avril 1998) et un article sur le trafic de diamants sous Patassé, et Le Monde (1er mars 2006).

Les citations de Patassé sont extraites de son discours à la Nation de 2002.

Paul Barril a toujours été discret sur ses activités en Centrafrique. Via sa société de sécurité SECRETS, il avait recruté des mercenaires venus pour beaucoup de l’ex-Yougoslavie. Au début des années 2000, l’officier français participera à Bangui au défilé traditionnel de la fête nationale, debout dans un command-car, m’a assuré un diplomate français en poste dans la capitale centrafricaine.

Le procès de Jean-Pierre Bemba a fait l’objet d’une couverture de presse quotidienne à l’initiative de l’ONG Open Society Justice Initiative, disponible sur Internet < http://french.bembatrial.org>. Avant la tenue de son procès, Bemba avait été incarcéré huit années. En tenant compte des remises de peine, il pourrait être libéré dans quatre ans. Il aura alors cinquante-sept ans.

L’attachement de Bozizé à l’Église du christianisme céleste viendrait de ce que, exilé au Bénin, et fréquentant cette Église, il aurait eu une vision lui prédisant qu’il deviendrait président de la République.

À la question de savoir pourquoi le socialiste Abel Goumba a accepté, en quelque sorte, de se renier et d’accepter l’offre d’un militaire putschiste, la réponse la plus convaincante a été celle fournie par un autre militaire, le général Parfait Mbaye, un compagnon de route de Bozizé. Selon lui, après avoir subi plusieurs lourdes défaites électorales, Goumba, soixante seize ans, désargenté, a voulu faire un dernier tour de piste politique avant de quitter la scène.

Chapitre 17. L’agonie

La chute de Bozizé, l’arrivée de la Seleka, l’exercice du pouvoir par Djotodia… Pour décrire cette période tumultueuse j’ai recueilli divers témoignages dont ceux de Jean-Luc Salles, Mgr Aguirre, le général Abdelkarim Moussa (un responsable de la Seleka), le colonel Patrick Marconnet, un ancien attaché Défense à l’ambassade de France à Bangui, Landry Touaboy, l’ancien Premier ministre et ambassadeur Gbézéra-Bria, Patrick Dejean, un homme d’affaires centrafricain, Jérôme Gomboc (un ancien officier français dont la carte de visite indique, bizarrement, qu’il est « ancien conseiller spécial des chefs d’État de la République centrafricaine »), Armand Ianarelli, un ex-mercenaire longtemps proche de Bozizé, le père Mbea, le supérieur des Spiritains en Centrafrique, Marie-Reine Hassen, le juriste Didier Niewiadowski…

Tous les témoignages ne se recoupent pas. Certains de mes interlocuteurs récusent ainsi que l’avion militaire envoyé bombarder les rebelles par Bozizé ait tiré sur son propre camp. Il aurait en réalité causé des pertes dans les rangs de la Seleka. Mais les deux affirmations ne sont pas incompatibles.

Pour les sources écrites, Le Monde et Libération ont été très utiles pour éclairer les événements récents ainsi que le livre de Yanis Thomas, Centrafrique : un destin volé. Histoire d’une domination française (Préface d’Odile Tobner, coll. « Dossiers noirs », Agone, Marseille, 2016).

Outre mes recherches sur place, je me suis référé à l’hebdomadaire La Vie pour traiter la fronde du clergé de 2009. À noter que Mgr Pomodimo, retourné à l’état civil, sera nommé médiateur de la République par le président Bozizé. Les deux hommes appartiennent à la même ethnie.

Il est sans doute utile de préciser que le mariage des prêtres n’est pas spécifique au Centrafrique. Il est tout aussi développé, sinon davantage, dans les autres pays de l’Afrique francophone dans l’attente d’une solution qui suppose que le Vatican se montre moins rigide. Une idée parmi d’autres, avancée par une partie du clergé local, serait de proposer un statut différent aux prêtres selon leur état matrimonial.

En Centrafrique, sur les neuf diocèses du pays, six sont encore dirigés par des évêques blancs, d’origine européenne.

La cause du divorce entre les présidents Idriss Déby et François Bozizé, qui va entraîner la chute de ce dernier, n’a jamais vraiment été étudiée. Elle s’explique sans doute par les multiples actes de défiance de celui-ci à l’encontre de son parrain Déby. Le renvoi du contingent tchadien qui assurait la sécurité présidentielle à Bangui en est un. L’octroi par Bozizé de permis d’exploration pétrolière à proximité de la frontière tchadienne (pour un gisement déjà exploité côté tchadien) a également joué. Ndjamena pouvait redouter que Bangui, en cas de découverte d’hydrocarbures, ne s’approprie une partie de la manne pétrolière. Enfin, a dû peser l’assassinat par les forces de Bozizé (qui était franc-maçon) d’un opposant, Charles Massi, également franc-maçon et protégé du président Déby (lui aussi f

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