Centrafrique : 18 avril 1979 – 18 avril 2019 : Et si Tambo devait être accusé à son tour d’incitation au soulèvement populaire ?

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Comme il fallait s’y attendre, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bangui, sur instructions du procureur général près la Cour d’Appel, M. Eric Didier Tambo, a décidé de convoquer le porte – parole du GTSC, Paul Crescent Béninga, dans son bureau le jeudi 18 avril 2019. Il est accusé du crime d’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat, conformément aux dispositions des articles 285 et 286  du code pénal centrafricain, selon le procureur général Tambo.

Rappelons que cette procédure judiciaire a été déclenchée contre ce jeune leader de la société civile, au lendemain de l’appel du GTSC à une ville morte et à une marche pacifique et citoyenne, le lundi 15 avril 2019, suite à la nomination des mercenaires et des étrangers par le président Touadéra, à des hautes fonctions de l’Etat, en flagrante violation des dispositions de l’article 28 de la constitution du 30 mars 2016, d’une part, et pour dénoncer l’incapacité totale de son gouvernement de  se  soucier des besoins prioritaires du peuple, tel que l’accès à l’eau potable, d’autre part.

Aussi illégale, politique, loufoque et farfelue puisse paraitre la mise en branle de cette procédure, la convocation de Paul Crescent Béninga, quant à elle, qui  est prévue pour  un certain jeudi 18 avril 2019 est plus que surprenante et inquiétante. Car cette date non tantum rappelle la date historique du 18 avril 1979, sed etiam ravive dans les cœurs des familles entières et dans la mémoire collective des centrafricains, des souvenirs de si tristes, douloureux et tragiques évènements.

Ce jour – là, en effet, des élèves et étudiants, pour avoir rejeté, à travers des marches pacifiques et citoyennes, le port de tenue obligatoire et exigé le paiement des arriérés de salaires et de pensions dus à leurs parents et aux fonctionnaires et agents de l’Etat, ont été arrêtés, torturés et assassinés par les éléments de la garde présidentielle de l’empereur Bokassa 1er. Ce massacre scellera à jamais la fin de la monarchie, 5 mois plus tard, plus exactement le 20 septembre 1979, avec l’intervention de l’opération « Barracuda ».

Selon des informations parvenues à la rédaction, le procureur général, Eric Didier Tambo, au moment des faits sus – évoqués, serait déjà en classe de 6ème ou 5ème au lycée Jean Bedel Bokassa et à ce titre devrait être un témoin vivant et oculaire  de cette sombre journée noire où tout avait basculé. Alors, pourquoi avoir eu  l’audace de convoquer un pauvre civil, ce même jour – là, 40 années plus tard ? En agissant ainsi, ne serait – il pas en train de vouloir tout simplement provoquer un soulèvement insurrectionnel contre le régime déjà trop impopulaire de Touadéra ? Pourquoi n’ a – t – il jamais osé déclencher  une procédure judiciaire contre Force, Abdoulaye Hissène, Abbas Sidiki, Nourreidine Adam, Mahamat Al – Katim et Autres dont les mains sont couvertes du sang des centrafricains et qui ont commis les crimes les plus abjects et les plus inhumains sur le territoire centrafricain, au vu et au su de tout le monde ? Pourquoi n’avait – il pas demandé au procureur de la République de procéder à l’arrestation du mercenaire nigérien Ali Darass, accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité,  il y a deux jours, à Bambari ?

Attention, M. Eric Didier Tambo, le 18 avril 1979, il y a 40 ans aujourd’hui, le peuple centrafricain  se soulevait contre la dictature de Bokassa !

Souvenez – vous :

« Le 18 janvier 1979 est l’une des dates les plus importantes de l’histoire de la République centrafricaine indépendante, une de celles qui ont jalonné la longue résistance du peuple centrafricain contre l’oppression.

Le Colonel Jean-Bedel BOKASSA, qui avait pris le pouvoir dans la nuit du 31 décembre 1965 au 1er janvier 1966, entamait sa quatorzième année de règne, et cela, dans un climat particulièrement tendu. Ce même BOKASSA, qui avait plutôt bien commencé, et qui avait eu un bilan honorable entre 1966 et 1970, devait ensuite glisser sur la pente de l’arbitraire. Gagné par la folie des grandeurs, il s’était successivement proclamé maréchal, puis président à vie, avant de se sacrer « Empereur » de Centrafrique.

Les cérémonies très coûteuses de ce couronnement qui eut lieu le 4 décembre 1977, avaient ruiné l’Etat, au point qu’à partir de 1978, le paiement des salaires connaissait – déjà ! – des retards. Au début de 1979, on en était à au moins trois mois d’impayés.

C’est dans ce contexte que le pouvoir décida d’imposer le port obligatoire des tenues aux élèves du primaire et du secondaire. La mesure, décidée au cours de l’année précédente, entrait en vigueur en ce mois de janvier 1979. Les élèves qui ne portaient pas de tenue étaient systématiquement renvoyés chez eux.

C’est donc pour protester contre cette mesure inopportune alors que les parents manquaient de ressources, que la résistance commença à s’organiser clandestinement au niveau de l’ANECA (Association Nationale des Etudiants Centrafricains). Il faut ajouter que le contexte était celui d’une grande tension politique, du fait des crimes auxquels se livraient l’Empereur et ses sbires : enlèvements, tortures, disparitions, exécutions sommaires à la prison de Ngaragba ou décès dans cette même prison à cause des mauvais traitements.

Cela durait depuis au moins une décennie, mais les assassinats politiques s’étaient intensifiés après le coup de force manqué du 3 février 1976 à l’aéroport de Bangui, qui conduisit à l’exécution de nombreux officiers et civils, dont le commandant Fidèle OBROU, chef de l’armée de l’air, et son frère jumeau MEYA, ou encore Pierre MALEHOMBO, ancien compagnon de lutte du président Barthélemy BOGANDA.

L’opposition était complètement muselée à l’intérieur du pays, et les républicains commençaient à s’organiser dans la clandestinité. A l’extérieur, le mouvement étudiant en France, organisé au sein de l’UNECA (Union Nationale des Etudiants Centrafricains) leur servait de relais et de porte-voix. L’affaire des tenues obligatoires, qui sonnait comme une provocation au moment où les parents n’étaient pas payés, servit de catalyseur pour accentuer la pression et élargir les rangs de l’opposition. La colère était d’autant plus justifiée que cette mesure visait en réalité à faire gagner de l’argent à Bokassa, qui avait des intérêts chez CIOT, fabricant des tissus destinés aux tenues.

Comme c’est souvent le cas depuis l’indépendance, ce sont les quartiers populaires du nord de la capitale qui servirent de haut lieu de la résistance. Boy-Rabbé, Fouh, Gobongo, Miskine, que BOKASSA devait désigner de l’expression désormais célèbre de « quartiers rouges », entrèrent en ébullition.

Les jeunes, organisés en petits groupes très mobiles, déclenchèrent la « guerre des cailloux » face aux forces de l’ordre dépêchées à la hâte. Cette guerre des cailloux n’était pas une première dans notre pays. Au début des années cinquante, elle avait été « expérimentée », si l’on peut dire, dans la région de Berbérati, contre l’administration coloniale. C’est cette forme de lutte, qui n’est pas spécifiquement centrafricaine, que les Palestiniens ont adoptée depuis 1982 sous le nom d’Intifada. C’est la guerre des « petits » contre les « grands », des mains nues contre les chars et les canons, en un mot, David contre Goliath.

« Aux cailloux ! » : tel était le mot d’ordre des manifestants du 18 janvier 1979. La répression fut brutale. L’armée était déployée dans les « quartiers rouges ». BOKASSA menaçait de bombarder Boy-Rabbé et Fouh, ce que PATASSE, son ancien premier ministre, réalisa vingt-trois ans plus tard. Face aux tirs à balles réelles, les habitants de ces quartiers ne demeurèrent pas les bras croisés. Flèches et même vieux fusils de chasse sortirent.

Le bilan devait se chiffrer à plusieurs dizaines de morts, principalement parmi les habitants de Boy-Rabbé, Fouh et Gobongo.

Trois mois plus tard, le 18 avril 1979, une rafle générale d’élèves et étudiants était organisée, soit-disant en vue de neutraliser les meneurs. Incarcérés dans des cellules étroites de la sinistre prison de Ngaragba, beaucoup devaient mourir d’étouffement. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase, en suscitant une énorme émotion en Afrique et dans le monde. Le sommet franco-africain de Kigali, au Rwanda, décida d’une commission interafricaine d’enquête pour vérifier et constater les faits. Le rapport accablant de cette dernière précipita la chute de Bokassa, le 20 septembre 1979.

On retiendra toutefois que la journée du 18 janvier 1979 fut décisive en ce sens qu’elle brisa la peur qu’inspirait la dictature de Bokassa. C’est ce mouvement qui accéléra la prise de conscience et la structuration des groupes politiques qui devaient apparaître au grand jour, avant même la fin de l’  « Empire centrafricain ».

https://www.sangonet.com/HistoireRCA/aux-cailloux-25ans.html »

La rédaction

 

 

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