CEMAC | RCA : La loi centrafricaine sur la cryptomonnaie est-elle “légale” au regard du droit financier et monétaire communautaire ?

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CEMAC | RCA : La loi centrafricaine sur la cryptomonnaie est-elle “légale” au regard du droit financier et monétaire communautaire ?

Le 22 avril 2022, la Loi n°22.004 régissant la cryptomonnaie en République Centrafricaine a été promulguée par le président de la République Centrafricaine. Si la RCA a été presque portée en triomphe à travers le monde,  le cadre juridique monétaire et financier de la CEMAC auquel le pays est assujetti s’en trouve affecté. La Banque centrale (BEAC) a aussitôt mis sur pied un comité d’experts pour un examen approfondi de la “conventionnalité” de cette loi, elle-même porteuse d’insuffisances.

Au législateur centrafricain, on doit reconnaître un certain pragmatisme qui manque à d’autres législateurs sur la problématique de la régulation des actifs numériques cryptés, et ceci de par le monde. La loi du 22 avril a ainsi le mérite de s’engager à définir la notion même de cryptomonnaie. Son article 4 explique ainsi que la cryptomonnaie va désormais s’entendre en RCA comme ” toute monnaie numérique émise de pair à pair (actif numérique), sans nécessité de banque centrale, reposant sur une chaîne de bloc (Blockchain) et utilisable au moyen d’un réseau informatique décentralisé“. Par ailleurs, cette même disposition apporte une définition à la technologie de la Blockchain et des mineurs.

La Blockchain s’y entend comme une chaîne de blocs constituée d’enregistrement de données produites en continu, sous forme de blocs liés les uns aux autres dans l’ordre chronologique de leur validation, chacun des blocs et leur séquence étant protégés contre toute modification. Dans une autre occurrence, les mineurs sont entendus comme tous opérateurs, particuliers ou entreprises, qui utilisent la puissance de calcul (de processeurs, d’ordinateurs ou de cartes graphiques utilisées pour les jeux vidéo) pour valider une transaction réalisée, par exemple, en Bitcoin, en chiffrant les données et en enregistrant dans la Blockchain. Le législateur précise qu’en pratique, les mineurs sont ceux qui utilisent un logiciel pour résoudre un problème mathématique, résolution qui se traduit par la validation d’une transaction.


Lire sur la régulation de la cryptomonnaie en zone CEMAC : 

  1. CEMAC : La BEAC doit-elle lancer sa monnaie numérique pour contrer les cryptomonnaies ?
  2. CEMAC | COSUMAF : La réglementation des cryptomonnaies annoncée pour décembre 2021
  3. CEMAC | MARCHE FINANCIER : Comment la COSUMAF veut intégrer les cryptomonnaies dans l’Appel Public à l’épargne
  4. CEMAC | COSUMAF : Une réglementation pour les cryptomonnaies se prépare
  5. CEMAC : La COSUMAF interdit les cryptomonnaies en attendant la réglementation

Au demeurant, notons en synthèse que cette loi veut son champ d’application extensif. Elle s’applique à toutes les personnes physiques ou morales de droit public ou privé qui assurent des activités de commerce en ligne liées aux cryptomonnaies ainsi qu’à celles dont l’activité est d’offrir un succès à des services de cryptomonnaies au public par le biais des technologies de l’information et de la communication. Elle couvrent aussi celles qui offrent des services par voie de la technologie Blockchain qui donne lieu à la conclusion de smart-contract (contrats intelligents) pour se procurer en biens ou prestations de services.

En plus, la loi sur la cryptomonnaie en RCA a pour objectif de régir toutes les transactions liées aux cryptomonnaies en Centrafrique sans restriction aucune. A l’observation, l’objectif recherché par cette loi se veut louable à plus d’un titre. Elle met sans doute en place un cadre juridique pour un domaine volatile comme celui de la cryptomonnaie. Par ailleurs, comme le souligne certains observateurs, ladite loi a pour objectif la mise en place d’un environnement favorable du secteur financier répondant autant aux besoins de la profession de ce secteur qu’à l’ensemble des acteurs économiques.  Avec cette loi donc, les cryptomonnaies s’assimilent ainsi graduellement à une option à côte de la monnaie classique. En outre, le législateur semble bien inspiré car, les contributions fiscales pourront être payées en cryptomonnaies à travers des plateformes reconnues et autorisées par le Gouvernement.

Dès lors, tout agent économique est tenu d’accepter les cryptomonnaies comme forme de paiement lorsqu’elles sont proposées pour l’achat ou la vente d’un bien ou d’un service ( Le cours légal et pouvoir libératoire sont ainsi consacrés par l’article 10 de cette loi). De même, tous les contrevenants aux dispositions de cette loi seront passibles d’une peine privative de liberté de 20 ans, assortie d’une amende comprise entre 100 millions à 1 milliard de FCFA. En bout de compte, la loi crypto va plus loin en créant une Agence Nationale de Régulation des Transactions Électroniques en abrégée ANTE  ayant comme mission, le contrôle et la régulation des transactions électroniques.

UNE LOI PORTEUSE D’INSUFFISANCES ? 

L’une des observations qui attire l’attention et peut deviner une limite dans la loi centrafricaine tient au fait qu’il existe des monnaies digitales cryptées ( cryptomonnaies) qui n’utilisent pas la technologie Blockchain. De même, il existe des monnaies cryptées qui ne s’appuient pas sur les mineurs pour la validation des transactions. A titre illustratif, ces deux variables sont utilisées dans la cryptomonnaie IOTA. Dans un autre sens, une autre limite est entretenue par le fait qu’il existe également des Blockchain sans cryptomonnaie liée en native à l’instar de CORDA ou de HYPERLEDGER .

En fait, pour se projeter avec clairvoyance dans l’univers fluctuant des monnaies virtuelles, il n’est prudent de limiter le champ de la loi. Ce choix est un risque. Même si le législateur de RCA peut prétendre assumer, on peut rappeler à son adresse qu’ailleurs, notamment en France, il a été opté pour une ouverture dans le choix des concepts. Ainsi, le législateur a précautionneusement opté pour la notion de dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP) pour ne pas se limiter à celle de Blockchain qui n’est pas holistique et peut être dépassée. (V. Décret n°2018-1226 du 24 décembre 2018 « relatif à l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers et pour l’émission et la cession de mini-bons » – Journal Officiel du 26 décembre 2018, en application de l’ordonnance n°2017-1674 du 8 décembre 2017 et de l’article L.223-12 du Code Monétaire et Financier). Par ailleurs, il n’a jamais été question de se fonder sur un coin de référence comme le Bitcoin.

Au demeurant, même le législateur communautaire du marché financier de la CEMAC dans un projet de réforme du Règlement ministériel reprend avec prudence la notion de dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP). 

En outre, autant la défiscalisation ou plutôt la non-imposition est consacrée par cette loi, autant on peut se demander si le l’infraction unique de crime de violation des dispositions de la loi crypto de RCA n’est pas une incongruité juridique. En effet, il est très difficile d’imaginer une peine privative de 10 ans ou 100 millions de FCFA d’amende pour un commerçant refusant au Bitcoin son pouvoir libératoire.

UNE LOI CRYPTO CONTRAIRE AU DROIT FINANCIER DE LA CEMAC ? 

En l’état actuel, comme nous l’avons soutenu ( V. Dr Willy ZOGO, CEMAC | MARCHE FINANCIER : Comment la COSUMAF veut intégrer les cryptomonnaies dans l’Appel Public à l’épargne ), le droit financier de la CEMAC, sous la régulation de la COSUMAF n’a pas vocation à encadrer les transactions en cryptomonnaies dans les pays membres ( la compétence de la COSUMAF ne concerne que l’épargne publique utilisée ou sollicitée sur les valeurs mobilières et autres titres financiers, les crypto n’en sont pas partie en l’état du droit positif – objet financier juridiquement non identifié, et la réforme doit le corriger).

Sur ce point, la RCA de par sa loi sur les crypto ne devrait pas être en conflit de normes (cela est juridiquement difficile à envisager car, le droit communautaire accepté prime sur le droit national surtout contraire – cependant avec la cohabitation conflictuelle des bourses de valeurs par le passé, on peut mettre un bémol). De plus après la réforme du Règlement ministériel du marché financier de la CEMAC et du Règlement général de la COSUMAF, cette loi crypto sera sans aucun doute contraire aux conventions de la CEMAC dans la mesure où, en dépit de l’analyse stricto sensu de sa compétence matérielle, la COSUMAF a interdit par communiqué (source du droit financier) les transactions sur les crypto-actifs en zone CEMAC et donc, y compris en RCA. ( V. Dr Willy ZOGO, CEMAC : La COSUMAF interdit les cryptomonnaies…en attendant la réglementation)

Cependant, l’organe de contrôle ou de régulation des transactions électroniques et de la cryptomonnaie que l’article 13 crée, à savoir l’Agence Nationale de Régulation de Transaction Électronique, va se retrouver en conflit de compétences avec la COSUMAF, elle même régulateur de la commercialisation et de l’émission en ICO (Initial coin offering) qui seront englobés dans l’Appel public à l’épargne.

 

UNE LOI CRYPTO CONTRAIRE AU DROIT MONÉTAIRE DE LA CEMAC ? 

Par décision datant du 29 avril 2022, soit 7 jours après la promulgation de la loi crypto de RCA, la BEAC a procédé à la mise en place d’un groupe de travail sur les implications de la Loi régissant les cryptomonnaies en RCA sur l’architecture réglementaire de la communauté monétaire et financière. Présidé par M. Caroline IDRISSOU, ce comité pluridisciplinaire se veut inclusif ( avec représentant de la COBAC – mais sans d’autres comme la COSUMAF par exemple).

En tout état de cause, il est aussi question de se demander si la loi crypto de RCA est conforme au droit communautaire, notamment au Traité CEMAC, à la Convention UMAC et aux Statuts de la BEAC, pour ne citer que ces textes-là ?

Par décision datant du 29 avril 2022, soit 7 jours après la promulgation de la loi crypto de RCA, la BEAC a procédé à la mise en place d’un groupe de travail sur les implications de la Loi régissant les cryptomonnaies en RCA sur l’architecture réglementaire de la communauté monétaire et financière.

La Convention régissant l’Union monétaire en Afrique centrale signée par le Président en date de la RCA le 25 juin 2008 dispose en article 3 que l’Union monétaire se caractérise par l’usage d’une même Unité Monétaire dont l’émission est confiée à la BEAC, elle-même régie par ses Statuts qui ont valeur égale avec la Convention UMAC. L’article 6 du même texte dispose que l’Unité Monétaire légale est le FCFA, Franc de la coopération financière en Afrique centrale. De plus, par l’article 21 du titre II de la Convention régissant l’Union Monétaire de l’Afrique Centrale, les Etats concèdent clairement à la BEAC le privilège exclusif de l’émission Monétaire sur le territoire de chaque et de tous les États membres de l’Union.

Il faut croire que donner un cours légal et un pouvoir libératoire à un autre signe ou unité monétaire en marge de ce qui a été décidé dans le cadre dispositions communautaires, notamment des articles 3, 6 et 21 de la convention UMAC, est contraire à la conventionnalité communautaire.  Comme on le sait, l’article 44 du Traité CEMAC révisé dispose que les actes adoptés au plan communautaire sont appliqués de plein droit et en dépit des lois contraires antérieures ou postérieures. Le privilège d’émettre les billets de banques et les monnaies métalliques qui ont cours légal et pouvoir libératoire dans les États de l’Union, consigné également dans les statuts de la BEAC, est assorti d’un certain nombre d’obligations qui constituent les missions fondamentales de la BEAC :

  • Mettre à la disposition des agents économiques les quantités de signes monétaires nécessaires pour effectuer les transactions de toutes natures ;
  • Garantir les utilisateurs de ces moyens de paiement contre les risques de falsification et de contrefaçon ;
  • Assurer une bonne qualité de la circulation des signes monétaires.

A la lecture de ce texte qui pose clairement les missions de la BEAC, est-ce que cette loi de la RCA qui adopte le Bitcoin comme monnaie légale de référence à côté du FCFA n’empiète pas sur la compétence de la Banque centrale ? La BEAC est-elle attaquée ?

En tout état de cause, la RCA joue | peut | veut-elle jouer sur les limites du droit communautaire de la CEMAC ? 

On est légitime à croire que les défenseurs de la loi crypto de la RCA peuvent exciper quelques arguments :

  • Les cryptomonnaies sont-elles incluses dans le champ de l’article 3 précité qui encadre l’UNITÉ MONÉTAIRE COMMUNE ? La cryptomonnaie est-elle au sens propre une unité monétaire ? Ils peuvent défendre la négative. 
  • La BEAC dans ses statuts (article 1er et article 8) a l’exclusivité d’émettre les billets de banque et les pièces métalliques de la monnaie unique ayant cours légal et pouvoir libératoire, la BEAC n’étant pas habilitée à “battre” la monnaie numérique. Sa compétence couvre-t-elle l’émission de la monnaie numérique ? (V. Dr ZOGOCEMAC : La BEAC doit-elle lancer sa monnaie numérique pour contrer les cryptomonnaies ?). Ils peuvent défendre la négative. 

A l’évidence, le législateur centrafricain peut exciper le manque de définition de la notion d’ “UNITÉ MONÉTAIRE” et le monopole de la BEAC sur les billets et les pièces. Pour éviter tout conflit (s’il en est), la convention UMAC et les Statuts de la BEAC semblent être appelés à la refonte.

En tout état de cause, du fait du choix de donner cours légal à la cryptomonnaie opéré par la RCA, la Banque centrale de la CEMAC se doit d’intervenir. En effet, il est un fait, les cryptoactifs rognent aujourd’hui la prééminence des banques centrales. Ces dernières, autrefois considérées comme uniques dépositaires des systèmes de paiements et régulateurs des échanges internationaux, conçoivent péniblement la perte progressive de leur pouvoir sur l’économie financière.

La position des autorités centrafricaines notamment, au niveau du ministère de l’Economie numérique, des Postes et Télécommunication de RCA semblent appuyer cette logique. A l’évidence, par l’article 5 de la loi crypto de la RCA, le taux de change entre les cryptomonnaies et la monnaie utilisée (FCFA) en République Centrafricaine étant librement déterminé par le marché, la BEAC qui est le régulateur des changes du FCFA se doit d’agir.

En somme, ce mouvement de la RCA peut être lu autant comme une émancipation progressive qu’un contournement des contraintes de la Banque centrale notamment en matière de changes. Toutefois, espérons que cette loi n’est pas partie d’une impréparation (pis encore d’une improvisation) pour un pays dont la situation socio-économique n’est pas stable et dont les systèmes informatiques peuvent être vus comme fragiles. La cryptomonnaie ne serait pas une voie à emprunter en l’absence d’un système de télécommunication fiable, notamment dans un pays qui occupe les premiers rangs des pays les moins développés du monde selon l’ONU.

Pour conclure, disons qu’on revient à la base donc, comme dans cette citation connue en sciences sociales ” pour ne pas finir par buter, il faut débuter par définir“.  En tout état de cause, la BEAC dispose de la qualité et de l’intérêt pour saisir la Cour de Justice de la CEMAC pour attaquer cette loi, si elle la juge anti-conventionnelle et la RCA se réserve le droit de dénoncer le Traité CEMAC en cas de désaccord permanent en se fondant sur son article 58. On en arrivera sans doute pas à ces extrêmes ..encadrés.

Dr Willy ZOGO et Dr Essiane MBENTI 

https://droitmediasfinance.com

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