Avant l’affaire Alexeï Navalny, ces empoisonnements suspects d’opposants politiques russes

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Pour l’entourage d’Alexeï Navalny, le diagnostic est clair : l’opposant de Vladimir Poutine a été « empoisonné, intoxiqué », comme l’écrit sa porte-parole sur Twitter, vendredi 21 aoûtTransféré par avion médicalisé samedi matin de l’hôpital d’Omsk à un établissement réputé de Berlin, ce Russe de 44 ans était dans un état stable à son arrivée en Allemagne samedi matin, selon l’ONG allemande Cinema for Peace, qui a affrété l’appareil. La veille, le chef des urgences d’Omsk avait déclaré qu’Alexeï Navalny souffrait d’un problème métabolique causé par une faible glycémie.

Mais les doutes sont toujours vifs chez les partisans d’Alexeï Navalny, qui soupçonnent un empoisonnement lorsque l’opposant a pris un thé dans l’aéroport de la ville sibérienne d’Omsk. D’autant plus qu’en juillet 2019, Alexeï Navalny s’était déjà dit victime d’un empoisonnement par « une matière chimique inconnue », tandis qu’il purgeait une courte peine de prison. Les autorités avaient de leur côté parlé d’une « réaction allergique » et assuré n’avoir retrouvé « aucune substance toxique ».

Comme le soulève Le Monde, les derniers empoisonnements produits en Russie « n’ont jamais fait l’objet d’enquêtes complètes ». Seuls les cas survenus à l’étranger ont pu être établis avec certitude. Néanmoins, « l’empoisonnement politique est une pratique ancienne en Russie », note sur France Inter Michel Eltchaninoff, spécialiste de la Russie. Franceinfo revient sur cinq cas d’empoisonnement d’opposants russes intervenus ces dernières années.

Sergueï Skripal, exposé à du Novitchok

Le 4 mars 2018, deux personnes sont retrouvées inconscientes sur un banc dans la ville de Salisbury, au Royaume-Uni. Il s’agit en fait de Sergueï Skripal, 66 ans, et de sa fille Ioulia, 33 ans. Ils ont tous les deux été exposés à des agents Novitchok, des poisons développés secrètement par les autorités soviétiques durant la Guerre Froide. Ils sont hospitalisés et se rétablissent finalement quelques semaines plus tard.

Deux membres des services d\'urgence fixent une tente autour du banc où ont été retrouvés Sergueï Skripal et sa fille, le 8 mars 2018 à Salisbury (Angleterre). 
Deux membres des services d’urgence fixent une tente autour du banc où ont été retrouvés Sergueï Skripal et sa fille, le 8 mars 2018 à Salisbury (Angleterre).  (BEN STANSALL / AFP)

Si Sergueï Skripal a été empoisonné, c’est parce qu’il est un ancien agent double. Il est recruté par les services secrets britanniques au début des années 1990, alors qu’il travaille à la Direction générale des renseignements de l’état-major russe. Il continuera d’informer le MI6 jusqu’en 2003. Sergueï Skripal est arrêté l’année suivante et plaide coupable lors de son procès. Il est finalement condamné pour haute trahison à 13 ans de prison.

L’histoire pourrait s’arrêter là. Mais en 2010, le président russe Dmitri Medvedev gracie Sergueï Skripal et l’échange avec trois autres agents doubles contre dix agents secrets russes installés aux Etats-Unis et démasqués par le FBI. Sergueï Skripal se réfugie alors au Royaume-Uni. Les autorités britanniques accusent les services de renseignement militaire russes, le GRU, d’être à l’origine de son empoisonnement. Le Kremlin dément toute implication, déclenchant une crise diplomatique au sein de la communauté internationale.

Alexandre Litvinenko, tué par du polonium 210

Lui aussi n’avait bu qu’un thé. Alexandre Litvinenko est un ancien agent du KGB. Alors que Vladimir Poutine est nommé chef des services de contre-espionnage russes en 1998, Alexandre Litvinenko l’encourage à lutter contre la corruption au sein du FSB. Il finit par l’accuser d’être lui-même impliqué dans des affaires et par être radié. Alexandre Litvinenko s’exile alors à Londres, en 1999.

En novembre 2006, il prend un thé dans un restaurant londonien avec deux businessmen et anciens membres du KGB, Andreï Lougovoï et Dmitri Kovtoun. Dans les jours qui suivent, il est pris de vomissements et de diarrhées et se fait hospitaliser. Il mourra trois semaines plus tard. Du polonium 210, un métal radioactif extrêmement puissant, rare et cher, est retrouvé dans son estomac ainsi qu’en très forte quantité dans la théière du restaurant londonien.

C’est au terme d’une longue enquête de dix ans que la culpabilité du Kremlin est soulignée. Mais déjà, sur son lit de mort, l’ex-agent connaissait les coupables. Dans sa lettre testamentaire, reprise par l’INA, il écrivait : « Il est temps de dire quelques mots aux responsables de mon état actuel. (…) Vous pouvez faire taire un homme mais les hurlements de protestation du monde entier retentiront à vos oreilles pendant le reste de votre vie, M. Poutine. Que Dieu vous pardonne pour ce que vous avez fait, non seulement à moi mais encore à la Russie et à son peuple. »

Vladimir Kara-Murza, empoisonné deux fois

Du manganèse, du cuivre, du zinc et du mercure. En 2015, l’opposant russe Vladimir Kara-Murza est admis en soins intensifs pour « défaillance rénale aiguë », selon Le Monde. Les médecins trouvent dans son sang des traces de ces quatre métaux lourds « dans des proportions anormales ». « En l’espace d’une vingtaine de minutes, alors que je me sentais parfaitement bien, mon rythme cardiaque s’est emballé, ainsi que ma pression sanguine. Je me suis mis à transpirer et à vomir partout, et puis j’ai perdu conscience », raconte-t-il au New York Times (en anglais) en 2016.

Un an plus tard, il est de nouveau victime de graves troubles et d’une défaillance inexpliquée de plusieurs organes vitaux. « Les médecins m’ont dit que des analyses médicales ont conclu à la présence de substances toxiques inconnues », relevait alors l’avocat de l’opposant russe. Vladimir Kara-Murza explique ensuite à NBC News : « J’ai su tout de suite ce que c’était, parce que c’était la deuxième fois que ça arrivait en deux ans. Et cela a commencé presque exactement de la même manière. »

Vladimir Kara-Murza, aujourd’hui âgé de 38 ans, a fait de nombreuses fois l’objet de menaces violentes. Il est le vice-président d’Open Russia, un mouvement « ayant pour but de construire et de renforcer la société civile russe »selon son site internet (en anglais). Vladimir Kara-Mourza a notamment piloté un projet cherchant à soutenir de jeunes opposants lors des dernières élections législatives. Il était aussi un ami proche de l’opposant Boris Nemtsov, ancien vice-Premier ministre russe de Boris Eltsine, assassiné en 2015.

Viktor Iouchtchenko, défiguré par la dioxine

En pleine campagne pour la présidentielle ukrainienne, le 5 septembre 2004, Viktor Iouchtchenko est pris d’un malaise. Hospitalisé en Autriche, il revient en Ukraine quelques jours plus tard, le visage très abîmé. Viktor Iouchtchenko dénonce alors un empoisonnement. Les médecins mettront trois mois à établir qu’il a ingéré de la dioxine à son insu. La concentration de cette substance chimique dans le corps de Viktor Iouchtchenko est alors « 10 000 fois supérieure à la valeur maximale autorisée », rapporte Le Monde. La dioxine lui a « attaqué le foie, le tube digestif, le pancréas, puis enfin la peau », grêlant son visage de cicatrices.

Le visage de Viktor Iouchtchenko, avant et après son empoisonnement à la dioxine. 
Le visage de Viktor Iouchtchenko, avant et après son empoisonnement à la dioxine.  (STF / AFP)

L’enquête sur l’empoisonnement de Viktor Iouchtchenko « penche alors vers la piste des services secrets russes », rappelle Le Monde. D’autant que la Russie soutenait ouvertement son rival Viktor Ianoukovytch. Viktor Iouchtchenko sera finalement élu à la tête de l’Ukraine en janvier 2005. Plus de 15 ans après, aucune responsabilité n’a été formellement établie dans cette affaire.

Piotr Verzilov, aveuglé par un produit inconnu

En septembre 2018, alors qu’il assistait au procès de deux membres du groupe Pussy Riot pour désobéissance envers un policier, Piotr Verzilov tombe subitement malade. Cet activiste, connu pour avoir envahi le terrain lors de la finale de la Coupe du monde en Russie en 2018, « perd la vue » quelques jours plus tard, « ne peut plus parler » ni même reconnaître son ancienne compagne. Il est d’abord hospitalisé à Moscou puis transféré après plusieurs jours dans un état grave à Berlin, à l’hôpital de la Charité. Pour les médecins, il s’agit « très vraisemblablement » d’un « cas d’empoisonnement ». Il sortira de l’hôpital une dizaine de jours plus tard. La substance utilisée n’est pas connue.

Ses proches accusent alors le GRU. « C’était probablement une tentative d’assassinat ou au moins d’intimidation », estime son ancienne compagne. Interrogé par le journal allemand Bild, Piotr Verzilov ne voit que deux raisons possibles qui pourraient expliquer un empoisonnement : pour le punir d’avoir pénétré sur le terrain lors de France-Croatie ou en raison de ses liens avec trois journalistes russes assassinés en Afrique. Ce binational russo-canadien travaillait en effet sur un projet de film avec Alexandre Rastorgouïev, tué le 30 juillet 2018 avec deux autres journalistes en Centrafrique, où ils enquêtaient sur la présence dans ce pays de mercenaires russes.

Source : https://www.francetvinfo.fr/

 

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