Au Tchad, Mahamat Idriss Déby Itno contrôle-t-il encore le Sud ?

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POLITIQUE

Au Tchad, Mahamat Idriss Déby Itno contrôle-t-il encore le Sud ?

Depuis plusieurs semaines, les attaques de groupes de bandits armés se multiplient. Au point que le gouvernement est accusé par ses détracteurs de ne plus maîtriser la situation.

Tout de blanc vêtu, Mahamat Idriss Déby Itno foule la piste sablonneuse de l’aérodrome d’Amtiman. Quelques enfants, eux aussi en tenue immaculée, sont présents pour l’accueillir au milieu des chefs traditionnels et autres hauts gradés locaux. Le chef-lieu de la région du
Salamat constitue, en cette !n de matinée du 10 mai, la première étape d’une « tournée intérieure » qui doit amener le président de la transition tchadienne à sillonner le nord-est et l’est du pays.

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Une façon, confient ses communicants, de se rapprocher des populations de l’arrière-pays et de faire connaître la politique menée depuis deux ans dans la capitale. Une manière aussi, selon ses détracteurs, d’entrer en campagne sans le dire alors que se pro!le, en 2024, une élection présidentielle à laquelle peu doutent qu’il sera candidat. Y pense-t-il déjà ? Selon certaines sources, plusieurs de ses plus proches collaborateurs y travaillent depuis plusieurs mois.

Mahamat Idriss Déby Itno garde également un œil sur le Soudan. Alors que Khartoum vit toujours au rythme des combats entre les généraux Burhane et Dagalo, le Tchad a vu arriver à ses frontières près de 100 000 réfugiés qu’il aura bien du mal à accueillir, en particulier en cette période de début de saison des pluies. L’Est occupe l’esprit du chef de l’État qui mesure, par expérience, les risques d’une déstabilisation du voisin soudanais et du Darfour.

Des assaillants en moto et à cheval

Mais qu’en est-il du Sud ? En ce 10 mai, la province du Logone-Oriental panse ses plaies. Deux jours plus tôt, des hommes armés ont attaqué et saccagé le village de Don, non loin de la frontière avec la Centrafrique. Selon les autorités locales, les assaillants, munis d’armes à feu et d’armes blanches, sont arrivés en moto et à cheval, et « ont assassiné plus d’une dizaine de villageois, incendié des cases, enlevé des bœufs d’attelage, et laissé sur leur passage plusieurs blessés ».

Au total, 17 personnes sont mortes. Depuis N’Djamena, le chef de la communauté Kabba à laquelle appartenaient les victimes, des agriculteurs chrétiens, dénonce aussitôt des « actes lâches, barbares et ignobles ». Ceux-ci, ajoute-t-il, ont été perpétrés « sous le regard
impuissant et complice des autorités administratives et militaires ». Un homme est particulièrement ciblé : Mahamat Idriss Déby Itno, en tournée loin au nord, accusé de détourner le regard.

« Incendiaires promoteurs de la sécession »

« Ce qui se passe au Sud n’intéresse pas le pouvoir, d’autant plus quand ce sont des populations chrétiennes qui sont ciblées », déplore un opposant rencontré par Jeune Afrique à N’Djamena quelques jours après l’attaque du 8 mai. « On a l’impression que le gouvernement laisse faire », renchérit un leader de la société civile. Une « impression » renforcée dans les jours qui viennent par deux nouvelles attaques, dans la même région du Logone-Oriental.

Le 17 mai, seize personnes ont été tuées à Andoum puis, deux jours plus tard, le même village déplore à nouveaux sept morts dans une seconde attaque. Villages brûlés, maisons pillées, églises incendiées… L’opposition ne manque pas de réagir, Succès Masra dénonçant depuis son exil des « massacres ciblés » de populations chrétiennes, tandis que l’opposant Théophile Bongoro affirme que l’État est « dépassé par les événements ».

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Depuis, N’Djamena s’efforce de démentir son manque d’intérêt pour la situation. Le 18 mai, la présidence a assuré qu’elle avait déployé l’armée pour répondre à « ces incursions répétitives » de « bandes armées composées de Tchadiens repliés sur le territoire centrafricain ». Surtout, ciblant une partie de l’opposition dans un autre communiqué publié quelques jours plus tôt, elle a mis en garde contre « une entreprise dangereuse, nourrie par les incendiaires promoteurs de la sécession ».

« On peine à comprendre »

Coupable laisser-faire des autorités ? Instrumentalisation de l’opposition radicale ? Chaque camp renvoie à son adversaire la responsabilité des attaques. « Certains opposants se servent de ces événements pour faire passer l’idée que le président et le gouvernement mèneraient une politique hostile au sud et aux chrétiens. C’est dans la droite ligne d’une stratégie que l’on observe depuis les manifestations d’octobre 2022 », explique un conseiller de Mahamat Idriss Déby Itno.

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« Ce qui interroge dans tous les cas, c’est la multiplication des faits. Il y a régulièrement eu des conflits entre éleveurs, souvent musulmans, et agriculteurs, majoritairement chrétiens, aux frontières du Tchad, du Cameroun et de la Centrafrique. Mais ils ont rarement été aussi fréquents et meurtriers, analyse une source diplomatique à N’Djamena. On peine à comprendre qui se trouve derrière et qui aurait les moyens de pousser ces groupes à multiplier ainsi les attaques. »

Un autre proche de la présidence tchadienne affirme, reprenant une thèse répandue au sein du gouvernement : « Il y a des liens entre une partie de l’opposition radicale et des Tchadiens réfugiés en Centrafrique. De là à imaginer que certains ont un intérêt à se servir de ces exilés pour alimenter un climat insurrectionnel dans le sud du pays… » Aucune preuve n’a pour le moment été fournie pour étayer ces accusations, lesquelles visent indirectement Succès Masra.

Vers une rencontre Déby Itno-Touadéra ?

Depuis le début de l’année, les renseignements tchadiens affirment détenir des preuves de la formation d’une nouvelle rébellion tchadienne dans le nord de la Centrafrique. Le sujet a été évoqué à plusieurs reprises entre Mahamat Idriss Itno et son homologue Faustin-Archange Touadéra. Début mars, l’Agence nationale de sécurité (ANS) estimait que plus d’un millier de Tchadiens avaient traversé la frontière pour s’établir au nord de la ville de Paoua.

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Ces exilés – dont rien ne prouve pour le moment qu’ils aient pu s’organiser en une rébellion active – sont-ils à l’origine des attaques dans le sud du Tchad ? L’armée tchadienne a en tout cas obtenu l’autorisation de poursuivre les assaillants jusque sur le territoire de la Centrafrique. Le président de la Commission nationale des droits de l’homme tchadienne, Mahamat Nour Ibédou, a quant à lui appelé à la création d’une force mixte tchado-centrafricaine permanente.

Mahamat Idriss Déby Itno pourrait se pencher plus attentivement sur le dossier. Évoquée depuis le début de l’année, une rencontre avec Faustin-Archange Touadéra est toujours, selon nos informations, envisagée, à la fois du côté de N’Djamena et de Bangui. Sa nécessité étant renforcée par l’actualité au Soudan et dans le sud du Tchad, celle-ci doit néanmoins encore trouver sa place dans les agendas des deux chefs d’État.

Jeune Afrique

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