Au Tchad, l’autre visage de la crise des réfugiés

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Cerné par les conflits et miné par la pauvreté, le Tchad accueille pourtant à bras ouverts près de 400 000 réfugiés des pays voisins, notamment la Centrafrique.
À Dilingala, les enfants de Saint-Paul Nodjimadji sont partis ramasser du karité. Les noix de l’arbre à beurre sont une des rares denrées à pousser en ce début de saison des pluies à l’extrême sud du Tchad.
« Les autochtones  [les tchadiens] nous ont autorisés à ramasser le karité, pour nourrir nos familles », explique Saint-Paul Nodjimadji. Le jeune homme de 35 ans a quitté la Centrafrique en 2014, poussé sur les routes de l’exil par la guerre civile qui a éclaté en 2013 dans la foulée de la chute de l’ex-président, François Bozizé.
Installé dans un village tchadien proche de la frontière avec ses trois femmes et ses neuf enfants, il a été relocalisé un peu plus loin, sur le site de Dilingala, avec 2 300 autres réfugiés centrafricains. Le village jouxtant le site des réfugiés compte lui 2 500 habitants tchadiens, respectant ainsi la règle tacite de ne pas installer plus de réfugiés que de locaux.
Et des deux côtés de Dilingala, l’inquiétude sur la mise en culture et la pénurie alimentaire est sur toutes les lèvres. « Je ne veux pas attendre le PAM [Programme alimentaire mondial] pour pouvoir nourrir ma famille », peste Saint Paul, qui attend d’avoir accès à des terres cultivables pour lancer le labour. « Si on me donne de quoi cultiver, je pourrais nourrir les miens, comme je le faisais en Centrafrique avant la guerre. »
Les réfugiés centrafricains ramassent les noix de karité
L’impatience de Saint-Paul est aiguillonnée par l’urgence de planter maintenant. La saison des pluies vient de commencer, et la fenêtre de tir s’amenuise pour la mise en culture du sorgho, du mil et du maïs, plantations traditionnelles de la région.
De plus, la période de soudure, pendant laquelle les réserves s’épuisent avant la nouvelle récolte, a commencé particulièrement tôt cette année, faisant grimper les prix des denrées alimentaires.
Mais depuis l’installation récente du site par le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) dans la sous-préfecture de Goré, l’accès aux terres, aux semences et au matériel agricole prévu dans le cadre de l’approche « hors-camps » de l’agence onusienne se met difficilement en route.

Cette approche prônée par les Nations-Unies consiste à favoriser l’intégration socio-économique des réfugiés – qui demeurent en moyenne 17 ans dans leur pays d’accueil –  en les répartissant in situdans les villages. Ainsi intégrés à la population tchadienne, les réfugiés peuvent plus facilement sortir de l’ultra-dépendance à l’aide internationale. Un des dommages collatéraux engendrés par les vastes camps de réfugiés totalement coupés des centres urbains, qui ont longtemps constitué le gros de la réponse internationale aux situations de crise.
À Dilingala, les Centrafricains se sont pourtant vus promettre l’accès à 300 hectares de terres cultivables, concédées par le chef de canton. Mais les hectares doivent encore être défrichés, et faute d’outils agricoles, la tâche n’a pas commencé. L’accès aux semences demeure aussi incertain, faute de financements. Autant de freins qui hypothèquent l’intégration économique prônée par le HCR.
Prix alimentaires
« Les difficultés sont énormes, avec l’afflux de réfugiés les prix de la nourriture augmentent. Nous avons donné les terres, mais il faut les semences pour planter », réclame le chef du village de Dilingala. En poste depuis 23 ans, l’homme a vu passer toutes les vagues de réfugiés centrafricains depuis 2003. « Beaucoup sont intégrés maintenant, dans les villages. Mais les gens continuent à arriver, il faut les aider », affirme-t-il.
En attendant la mise en route des projets d’accès aux terres, les réfugiés centrafricains sont tributaires de l’aide alimentaire fournie par le Programme alimentaire mondial (PAM). Une fois par mois, les sacs de farine, de sorgho, de mil ou de maïs s’entassent à l’entrée du site. Chaque famille dispose d’un approvisionnement défini en fonction du nombre de personnes.
La pénurie de fonds a toutefois poussé le PAM à limiter les distributions de nourriture. « Nous sommes obligés de réduire l’assistance alimentaire aux réfugiés », explique Mary-Ellen Mc Groarty, directrice du Programme alimentaire mondial au Tchad.
« Aujourd’hui, ce qu’on nous donne avec l’aide alimentaire, ce n’est pas suffisant pour vivre », rage Saint-Paul. « Avec ce qu’on nous donne pour un mois, je peux nourrir ma famille 3 jours. Et après on a plus que ça pour le reste du mois », affirme-t-il, en montrant le tas de karité ramassé par les enfants.
Tradition d’accueil
Malgré la situation alimentaire,  le Tchad a toujours accueilli les réfugiés des pays voisins sans que cela n’entraîne de tension. « On ne peut pas refuser d’accueillir les gens, ce sont des frères et leur pays est en guerre », tranche le chef de Dilingala.  Politiquement, la crise des réfugiés n’a jamais été instrumentalisée, ce qui a certainement évité au pays, pourtant divisé entre chrétiens et musulmans, des crispations communautaires  et religieuses.
« Le Tchad est un pays accueillant pour les réfugiés. Les Centrafricains et les Tchadiens sont des mêmes ethnies, ils parlent les même dialectes, cela facilite l’intégration », explique Olivier Brouant, chef de l’aide humanitaire européenne au Tchad (ECHO), un des principaux bailleurs au Tchad.
Dirigé par Idriss Déby, le pays est pourtant un des plus pauvres du monde. Il n’a pas su tirer profit de ses réserves pétrolières, dont la découverte avait précédé de peu la chute des cours du baril, enterrant au passage tout espoir de redressement de l’économie tchadienne. En dépit de la situation de pauvreté alarmante du pays, nombre de Centrafricains, de Soudanais ou de Nigérians viennent s’y réfugier, le Tchad bénéficiant d’une relative stabilité en comparaison de ses voisins. Au total, le pays sahélien accueille plus de 400 000 réfugiés, dont environ 80 000 Centrafricains pour une population d’environ 14 millions de personnes. Il figure ainsi parmi les principaux pays d’accueil de réfugiés dans le monde.
Dans la capitale tchadienne, l’hôpital de l’Amitié Tchad-Chine traite les cas de malnutrition aigüe chez les jeunes enfants. Un fléau des campagnes qui a gagné la ville depuis plusieurs années.
À Moissala, le chef-lieu du département frontalier de Barh Sara, le préfet Oumar Bahr siège sur son fauteuil, sous l’œil du traditionnel portrait photo du président Idriss Déby. « Dans mon département, il y a 6 000 réfugiés qui sont venus », explique-t-il. Répartis entre quatre différents sites,  les réfugiés centrafricains ont été accueillis sans heurts par les villages tchadiens. « Nous avons demandé aux chefs de villages, et aucun n’a refusé d’accueillir », explique le préfet. « Ici les habitants n’ont rien. Mais ils ont partagé le peu de nourriture qu’ils avaient avec les réfugiés ».
Crise perpétuelle de la Centrafrique
L’afflux de réfugiés centrafricains vers le Tchad a débuté en 2003, mais a pris une ampleur inédite en 2013 avec la chute de l’ancien président François Bozizé, renversé par la Séléka, une coalition de rebelles à dominante musulmane. Depuis, la Séléka a été dissoute et la situation a été stabilisée à Bangui, la capitale. Mais à la frontière tchadienne, les affrontements entre les ex-Séléka, les groupes d’autodéfense chrétiens (anti-balaka) et différentes milices armées n’ont pas cessé, poussant vers le Tchad les Centrafricains pris en étau par les conflits.
«  Chaque année il y a des conflits en Centrafrique, au moins ici on est en paix », explique Emery Béasangar, qui a fui le conflit avec sa famille en 2017. « Mais certains refusent de quitter leurs terres et restent là-bas ». Là-bas à Markounda en Centrafrique, le jeune agriculteur de 29 ans a tout laissé. « Nous sommes partis la nuit sans rien pour échapper aux milices, et nous avons attendu le matin pour pouvoir traverser la frontière. »
Fermée depuis 2015, la frontière entre les deux pays est devenue un corridor humanitaire via lequel arrivent les réfugiés au gré des attaques. Les groupes armés parviennent parfois à passer la Pendé, le fleuve frontière entre les deux pays pour venir dérober du bétail, malgré la présence permanente de l’armée tchadienne.
Retour au pays
Dans l’autre sens aussi, les passages se poursuivent. « Il y a des femmes centrafricaines qui passent pour aller récolter dans les champs de l’autre côté », explique un soldat de l’armée tchadienne.  Des réfugiés centrafricains rentrent aussi chez eux, faute de moyens de subsistance au Tchad. « Il y a presque 100 personnes qui sont rentrées ce matin », rapporte Blaise. « Et c’est comme ça tous les jours depuis des semaines. »
« Si je peux, je rentrerais en Centrafrique », affirme Saint-Paul. « Mais pas tant qu’il y aura la guerre, ça je ne peux pas. »
EURACTIV France

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