Afrique, le coup d’Etat, possible régulateur des crises politiques

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Un coup d’état en Afrique est vite condamné par la communauté internationale, comme c’est le cas ces jours-ci pour le Mali pour cause de « désordre constitutionnel » ou de « recul démocratique ». Ce qui constitue souvent un jugement sans pertinence sur des situations politiques bloquées en Afrique où seule l’armée peut remettre le pays sur des rails

Les coups d’Etat militaires, fussent-ils, comme celui du 18 août au Mali, sans la moindre victime ni le moindre coup de feu, ont mauvaise réputation auprès des partenaires occidentaux de l’Afrique. Les condamnations récentes des « mutins » qui ont pris le pouvoir au Mali confirme cette vision un peu simpliste, pour ne pas dire auto centrée, de la réalité de la vie politique africaine.

Pourtant, il faut bien reconnaître qu’il existe, en Afrique de l’Ouest, une forme de coup d’Etat régulateur des crises, dont l’avatar malien semble, a priori, une nouvelle illustration. Et il est assez troublant de voir des pouvoirs civils élus à l’issue de transitions politiques nées, justement, de coups d’Etat, monter sur leurs grands chevaux comme les présidents de la CEDEAO ces derniers jours.

Le Nigérien Mahamadou Issoufou  serait-il Président de la République si la junte conduite par le commandant Salou Djibo n’avait renversé, le 18 février 2010, son prédécesseur civil Mahamadou Tandja en pleine trituration constitutionnelle ?

A commencer par le président en exercice de l’organisation ouest-africaine. Le Nigérien Mahamadou Issoufou  serait-il Président de la République si la junte conduite par le commandant Salou Djibo n’avait renversé, le 18 février 2010, son prédécesseur civil Mahamadou Tandja en pleine trituration constitutionnelle ? Roch-Christian Kaboré, au Burkina Faso, n’a-t-il pas hérité du pouvoir légué, en douceur, par la transition après la chute, sous la force conjuguée du peuple et de l’armée, du tout puissant et inamovible Blaise Compaoré ? Alassane Ouattara n’a-t-il pas arraché le pouvoir que lui disputait Laurent Gbagbo, finalement, à la faveur de l’entrée dans Abidjan des Forces Républicaines de Côte d’Ivoire ?

La démocratie reste encore souvent un chemin précaire, ardu et plein d’embuches, surtout dans des pays jeunes, en butte à la pauvreté et l’insécurité. C’est un horizon. Pas une boutique.

L’armée, supposée défendre le peuple, la Nation et s’imposer comme un rempart contre le chaos, joue un rôle de dernier recours lorsque les situations apparaissent désespérées, que le désordre s’installe et que les crises s’amplifient. « Prenant ses responsabilités », elle stoppe alors une escalade dangereuse et crée les conditions d’une transition, qui s’achève, traditionnellement, par des élections régulières.

Dans ce motif, le coup d’Etat ouvre une parenthèse. Suspendus en dehors du jeu politique traditionnel et des contingences républicaines et partisanes, des constituants débattent de nouveaux textes, souvent progressistes, à la recherche de recettes pour permettre à la démocratie ressuscitée de ne plus retomber, prochainement, dans les mêmes travers. Las ! La démocratie n’est pas non plus une bibliothèque. Les textes suffisent rarement à l’enraciner car il lui faut du temps, de la patience et un air favorable. Pas trop d’orages ni de coups de chaud et de la tranquillité.

Toutes ces juntes portent à peu près le même nom, un sigle où République, Salut et Démocratie s’entrelacent indéfiniment. Elles adoptent peu ou prou le même rituel : une déclaration solennelle en kaki à la télévision nationale, l’hymne, des promesses de lendemains qui chantent, de coup de balai contre les pourris et, à nouveau, inlassablement, la remise du pouvoir aux civils.

Qu’est-ce « l’ordre constitutionnel » dans le Mali de ce mois d’août 2020, sans Cour Constitutionnelle, ni Assemblée régulièrement élue, ni même chef de file de l’opposition?

Mahamadou Issoufou l’a affirmé, le 20 août, à l’occasion d’un sommet virtuel de la CEDEAO : « les temps de prise de pouvoir par la force sont révolus dans notre sous-région », appelant de ses vœux ardents « le retour à l’ordre constitutionnel ».

Mais qu’est-ce, au juste, que « l’ordre constitutionnel » dans le Mali de ce mois d’août 2020, sans Cour Constitutionnelle, ni Assemblée régulièrement élue, ni chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé étant détenu en otage, depuis l’élection législative, dans une quasi indifférence? Qu’est ce que « l’ordre constitutionnel » dans un pays où des milices communautaires massacrent leurs voisins, les dépècent parfois, où les forces antiterroristes tirent à balles réelles sur des manifestants, investissent par la force des mosquées ? Où les enfants ne vont plus à l’école depuis des mois. Où les grèves se succèdent et achèvent, avec le temps, le dernier espoir d’un monde meilleur ?

Quel est donc cet ordre qu’il faudrait rétablir ? Si l’on en juge à l’affluence du peuple de Bamako, aux premières loges du coup d’Etat, jubilant et applaudissant, cet ordre défunt ne le fait plus rêver. Il lui préfère les jeunes officiers inconnus qui dirigent désormais le pays, quoi qu’en pense la CEDEAO, l’Union africaine et la « so called » communauté internationale. Comment ne pas le comprendre ?

Nathalie Prévost, collaboratrice de Mondafriquequi était installée au Niger depuis 2003, a eu le privilège de suivre et filmer la transition militaire ayant suivi le coup d’Etat du 18 février 2010 au Niger. Elle raconte cette étonnante aventure démocratique dans un film de 52 minutes intitulé « Demain, la démocratie. » (https://youtu.be/IvbHuX6RDPg)

Mondafrique

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