« Affaire société Al – Madina » : M. le président du tribunal administratif, même les policiers et la société civile s’étaient plaints !

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Centrafrique : le marché des documents d’identité au cœur d’un conflit entre gouvernement, policiers et société civile

RÉSERVÉ AUX ABONNÉS | 29 juillet 2019 à 18h15 | Par – à Bangui
Henri Wanzet-Linguissara, ministre centrafricain de la Sécurité publique.

Certains syndicats de police et représentants de la société civile centrafricains dénoncent, depuis plusieurs semaines, l’attribution du marché de la fabrication des pièces d’identité et des actes de naissance à la société libanaise Al Madina. Conditions de la passation, perte de souveraineté, augmentation des tarifs… Le ministre de la Sécurité publique répond.

Les policiers centrafricains ont manifesté mi-juillet devant le siège de la Primature – qui abrite aussi le ministère de la Sécurité publique – pour dénoncer l’attribution du marché de la fabrication des pièces d’identité nationale et certificats d’acte de naissance à l’entreprise libanaise Al Madina. Depuis 2013 et l’arrêt de la confection de ces documents, ils étaient les seuls habilités à délivrer un récépissé – signé par un commissaire – pouvant remplacer l’original dans les démarches administratives. D’une validité de trois mois, ce titre provisoire est monnayé 3 000 francs CFA.

Or, les montants acquittés dans les commissariats de police ne sont pas reversés à l’État, selon Henri Wanzet-Linguissara, le ministre de la Sécurité publique. « Ce sont les policiers qui encaissent les frais de cette pièce d’identité provisoire. Forcément, ils veulent que cette situation perdure, puisqu’ils en profitent bien », déclare-t-il à Jeune Afrique.

« Certaines personnes veulent récupérer cette affaire à des fins politiques, ajoute-t-il. L’État sait à qui, pourquoi et comment il décide de confier une mission à quelqu’un. Pour certains de ces policiers, le système de bancarisation des frais des démarches sera la fin de leur gagne-pain illicite. Et ils ne peuvent que ne pas être contents. »

En Centrafrique, plus d’un million de citoyens possèdent une carte d’identité nationale. De 4 500 FCFA (environ 7 €) avec une validité de dix ans, le document coûtera dès le mois de novembre 15 000 FCFA, pour une durée de vie légale de cinq ans, en vertu du nouveau contrat passé par le gouvernement avec Al Madina. L’augmentation concernera aussi les certificats d’acte de naissance, qui passeront de 1 500 FCFA à 3 000 FCFA. Des mesures qui suscitent depuis plusieurs semaines le mécontentement.

« Une injure pour les Centrafricains »

« C’est aberrant, s’indigne Gervais Lakosso, coordinnateur du Groupe de travail de la société civile (GTSC) et connu pour ses prises de position contre le pouvoir. Le gouvernement, en acceptant cet accord avec Al Madina, nous condamne à ne pas avoir de carte d’identité. On connaît tous la situation dans laquelle les gens vivent ici. Avec quels moyens vont-ils se procurer ces pièces ? C’est une injure pour les pauvres Centrafricains. »

À l’instar des syndicats policiers, le militant s’inquiète également de la délégation de cette prérogative « de souveraineté » à une société étrangère, et dénonce les conditions d’attribution de ce marché public. D’après des documents officiels que Jeune Afrique a pu consulter, ce dernier a été confié de gré à gré à la Société Al Madina – qui avait déjà remporté le marché national de fabrication des passeports, des permis de conduire et des cartes grises de véhicule – dirigée par Aziz Nassour, un diamantaire libanais régulièrement aperçu dans les cercles du président Faustin-Archange Touadéra.

En août 2018, Maurice Dangboye, directeur général des marchés publics au ministère des Finances et du budget, s’inquiétait déjà des conditions de passation du marché en question. Dans un courrier adressé au directeur de cabinet du ministre de la Sécurité publique, il s’était dit « étonné que le choix du prestataire ne soit pas soumis à l’avis préalable de son service, conformément aux lois fixant les marchés publics ». Malgré un avis d’objection émis par son département, le gouvernement a maintenu en juin 2019 l’octroi du contrat à la société Al Madina.

Al Madina, le choix de l’efficacité ?

« Une cinquantaine d’entreprises s’était manifestée pour obtenir ce marché aussi juteux que stratégique, reconnaît aujourd’hui Henri Wanzet-Linguissara. Mais depuis 2013, les cartes d’identité nationale ne sont plus fabriquées. Les fonctionnaires, les retraités, les demandeurs d’emploi et les Centrafricains en général ont des difficultés pour fournir cette pièce dans leurs démarches administratives et autres. Nous étions donc dans l’obligation de mettre rapidement en place ce service, qui doit être confié à un professionnel. Puisque la société Al Madina avait déjà fait ses preuves chez nous, nous leur avons confié. »

En septembre 2016 pourtant, la Centrafrique Carte System, filiale de la société Ivoire Carte System, avait annoncé la signature d’une convention entre elle et le gouvernement, avec pour objectif de fabriquer des pièces d’identité et relatives aux transports (carte grise, permis de conduire, etc). Mais le marché lui avait été retiré. « On m’avait donné comme prétexte que je devrais déposer à nouveau un dossier lorsqu’un nouvel appel d’offres sera lancé. Mais ça n’a jamais été le cas et j’ai appris par la suite que le marché avait été confié à Al Madina. C’est juste choquant », dénonce le patron de Centrafrique Carte System, Dominique Yandocka.

En attendant, le ministère a annoncé sa volonté de créer une banque de données commune pour les documents officiels. Et promet que « si le peuple s’élève contre un prix qu’il juge trop élevé, c’est sûr que les tarifs seront revus à la baisse ».

Jeune Afrique

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