
L’équation, pour la Justice sénégalaise, c’est comment garder toute sa sérénité dans une affaire où elle est visiblement à la croisée de calculs politiciens
Il en était de même au tribunal qui était placé sous très haute surveillance policière avec des entrées filtrées par les forces de l’ordre. Mais l’opposant, qui avait lancé un appel au calme à ses partisans et à qui la coalition Yewwi Askan Wi a réaffirmé son soutien, s’est présenté au tribunal sans sa cohorte de soutiens habituels. Une disposition d’esprit à saluer à sa juste valeur. Car, l’équation, pour la Justice sénégalaise, c’est comment garder toute sa sérénité dans une affaire où elle est visiblement à la croisée de calculs politiciens et d’intérêts divergents. La coalition au pouvoir dénonçant des « tentatives de pression sur la Justice » là où l’opposition soupçonne la même Justice d’être à la solde du pouvoir. Mais, et si on laissait le juge faire son travail ? La question est d’autant plus fondée que tôt ou tard, il va falloir vider le dossier. Et plus tôt les choses se feront, mieux cela vaudra. D’abord, pour Ousmane Sonko lui-même qui, s’il n’a rien à se reprocher, a besoin que le droit soit dit pour laver son honneur et polir sa réputation. Il en sortirait grandi et cela ne pourrait que le renforcer dans ses ambitions de présider un jour aux destinées de son pays. Ensuite pour la paix sociale, au regard des récurrents risques de troubles à l’ordre public et de la passion qui entoure ce dossier. Bien entendu, il ne s’agit pas de donner un blanc-seing au pouvoir de Macky Sall, qui a souvent prêté le flanc à la critique dans de précédentes affaires judiciaires d’opposants. Comme celle de Karim Wade, le fils de l’ex-président Abdoulaye Wade, ou encore celle de Khalifa Sall, l’ex-maire de Dakar, dont les ambitions présidentielles se sont brisées sur le mur de leurs condamnations respectives par la Justice de leur pays.
On peut déplorer le fait que le côté politique de l’affaire ait tendance à prendre le pas sur le côté judiciaire
Chat échaudé craignant l’eau froide comme le dit l’adage, comment s’étonner qu’avec le cas Ousmane Sonko, l’opposition soit pratiquement sur le pied de guerre ? Surtout que le président Macky Sall, qui est constitutionnellement à son dernier mandat, continue d’entretenir le flou sur les intentions de troisième mandat qu’on lui prête. Mais d’un autre côté, on ne peut pas toujours brandir systématiquement l’argument de la cabale politique chaque fois qu’un opposant politique est en délicatesse avec la loi. Et Ousmane Sonko devrait éviter de donner l’impression de chercher à s’en servir comme d’un parapluie pour se soustraire à la Justice. Ce serait un jeu malsain. Car, quand on aspire à diriger un pays, il faut savoir donner l’exemple. En tout état de cause, une affaire judiciaire reste pendante tant qu’elle n’a pas été vidée. Et dans le cas d’espèce, on peut déplorer le fait que le côté politique de l’affaire ait tendance à prendre le pas sur le côté judiciaire. Car, il y a certes la réputation voire la carrière d’un homme politique qui est peut-être en jeu. Mais cela est-il suffisant pour ignorer la souffrance d’une femme qui estime avoir été bafouée dans son intimité et dans sa dignité ? En tout cas, il appartient à la Justice sénégalaise de savoir se tenir à équidistance des différentes parties pour dire le droit, et rien que le droit. Il y va de sa propre crédibilité. Et si Ousmane Sonko est innocent, qu’il soit blanchi avec tous les effets de droit. Mais s’il est coupable, qu’il soit condamné à la hauteur de son forfait.
« Le Pays »