Affaire « obsèques de Tchakpa Mbrede » : quand un incident protocolaire révèle une guerre ouverte entre Touadéra et Méckassoua

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Dans un article intitulé « Méckassoua et les 140 députés, responsables du délitement actuel de la République », paru il y a seulement quelques jours, le journal « La Voix des Sans – Voix » a dressé sans ambages  un tableau sombre et apocalyptique de la société centrafricaine.

Une société caractérisée sans précédent historique par une crise des valeurs, la dépravation des mœurs, la cupidité, la corruption, l’amour de l’argent pour l’argent et la course aux honneurs et à la gloire terrestre et mortelle. Une société où le peuple est abandonné à lui – même, oublié dans les poubelles de l’histoire comme une simple vermine par ses propres dirigeants, ses chefs religieux, ses politiciens,  et ses élites. Une société où la plèbe qui détient néanmoins le pouvoir souverain et qui l’exerce par la voie des urnes au suffrage universel direct, est livrée à la merci des seigneurs de guerre, des bandes armées et des mercenaires de tout acabit, sans foi ni loi. Des criminels de la pire espèce qui ne cessent de tuer impunément, in dies singulos, depuis plus de 3 ans au vu et au su d’un régime démocratiquement élu mais incapable, incompétent et démissionnaire, d’une part, et des forces onusiennes qui, en violation des résolutions 2127 et 2149 du conseil de sécurité leur faisant obligation d’assurer la protection des populations civiles et de désarmer par la force toutes les bandes armées, conformément au chapitre VII de la charte de l’Onu, ont tout simplement préféré faire de la mort des centrafricains une véritable source de revenus, d’autre part. Une société enlaidie, puante et répugnante qui ressemble étrangement et étonnement à celle des Troglodytes dont en avait parlé Montesquieu au 18ème siècle.

Rentré dans l’histoire des hommes comme l’un des plus éminents philosophes français du siècle des Lumières, connu notamment pour  « De l’esprit des lois » (1748), œuvre colossale de trente tomes rédigée sur plus de vingt années, Montesquieu sera ensuite reconnu comme étant le pionnier du libéralisme en politique. En 1717, trop poli pour ennuyer ses contemporains avec un traité aride, il cherche une façon plus plaisante de transmettre son aversion envers les travers de la société. S’en suit, en 1721, la publication à Amsterdam des Lettres Persanes, roman épistolaire qui, malgré le fait qu’il soit publié anonymement, ne trompera personne quand à l’identité de son auteur. L’extrait suivant se compose des lettres XI et XII du roman. Il s’agit là d’un comte envoyé par Usbek à son ami Mirza. Il y fait mention d’un peuple, les troglodytes, qui après avoir connu les pires horreurs dues à leur manque d’humanité, pourront se sauver grâce à la vertu.

Que sont en réalité les troglodytes, selon Montesquieu ? C’est d’abord un peuple sauvage avec à leur tête un régime politique plus qu’instable. C’est à ce niveau du débat que la comparaison évoquée ci – dessus avec la société centrafricaine actuelle, se justifie et trouve merveilleusement  toute sa raison d’être.

 En effet, « ressemblaient plus à des bêtes qu’à des hommes », Montesquieu marque par une comparaison le fait que ce peuple n’est pas d’organisation sociale apparente. Il montre aussi l’aspect sauvage des troglodytes qui n’ont aucune valeur humaine. Cette comparaison entre la bestialité (ours, serpent) et l’humanité se poursuit ensuite avec « Ceux-ci n’étaient point si contrefaits […] ni de justice. Dans « principe d’équité et de justice », Montesquieu sous-entend équilibre et démocratie.  « Ils avaient un roi d’une origine étrangère […] et exterminèrent toute la famille royale. » Montesquieu continue son récit en expliquant qu’une monarchie n’a pas pu s’intégrer chez ce peuple. «…les traitaient sévèrement » nous rappelle le despotisme.  « Ils créèrent des magistrats […] ils les massacrèrent encore. »

Montesquieu montre une seconde fois l’impossibilité de faire régner un gouvernement chez les troglodytes. Il semblerait que l’histoire de ce peuple colle avec celle des romains (roi étranger à Tarquin le Superbe (étrusque) ; magistrats à consuls de Rome).   « Libre de ce nouveau joug », le joug en question étant celui qu’ils se sont eux-mêmes imposé, on en conclut que les troglodytes ne peuvent supporter aucune contrainte, même celle qui ont une légitimité. La démocratie est alors impossible et « tous les particuliers convinrent qu’ils n’obéiraient plus à personne ». Et par  « Chacun veillerait uniquement à ses intérêts », Montesquieu met en avant l’anarchie.

L’absence d’équité, de solidarité et de cohésion engendre une impossibilité de placer un gouvernement à la tête des troglodytes ; ce qui les poussera à en partie disparaître. Champ lexical péjoratif : comparaison à des bêtes, « indigne de leur présence », « méchanceté naturelle », « féroces », « méchants », « je ne me soucie point que tous les autres troglodytes soient misérables »… De plus, on remarque que pour les scènes sombres, Usbek ou plutôt Montesquieu emploie un style léger ; ce qui montre un peu plus l’aspect pitoyable des « sauvages ».  Les troglodytes sont eux-mêmes divisés entre « les peuples des montagnes » et ceux « des plaines » pourtant, ils sont autant ignobles les uns avec les autres et la calamité les affecte tous.

Quel est donc  l’intérêt de tout ce rappel avec l’article ci – dessus mentionné ?  Il est simple et à portée de la vue pour ceux qui savent lire et interpréter les évènements qui défraient les chroniques ces derniers temps, dans notre pays. Il s’agit de l’affaire du renouvellement du bureau de l’assemblée nationale, suivie de la sortie médiatique  de Kossimatchi, de son interdiction d’accès aux médias d’état et de sa menace de dissoudre le HCC. Une guerre ouverte et déclarée entre l’exécutif et le législatif, par personnes interposées, tel que ce personnage de Kossimatchi, ne représentant aucune entité publique nationale légalement établie, mais qui parle et s’attaque aux institutions légitimes et légales de la République, sans que personne ne réagisse. Un vrai troglodyte !

Une véritable guerre entre les deux premières institutions de la République, à savoir la présidence de la République, incarnée par Touadéra, et l’assemblée nationale, représentée par Méckassoua, qui s’est finalement  laissée s’éclater brutalement au grand jour, lors de la cérémonie des obsèques de Tchakpa Mbrede, le 5 mars 2018, au ministère des affaires étrangères. Une guerre qui s’est officiellement concrétisée, c’est – à – dire devant le grand public, familles du De cujus, amis, parents et connaissances, les ambassadeurs accrédités près la Rca et représentants des institutions internationales, par le refus des deux personnalités de respecter l’ordre de préséance, histoire  de ne pas se voir, se serrer les mains et rester cote à cote. Quelle laideur ! Quel sacrilège ! Et quel déshonneur et quelle honte faits à la République et au peuple centrafricain, en ce moment – là !

  Pour illustration, reçu avec tous les honneurs,  Touadéra est arrivé le premier sur les lieux de la cérémonie, en l’absence de Méckassoua, pour repartir sitôt  avant que le PAN ne soit là. Lui succédant quelques minutes plus tard, et n’ayant pas eu droit aux honneurs dus à son rang, Méckassoua va néanmoins prendre la relève et gérer la cérémonie jusqu’à la fin.

 Couac protocolaire ? Non, à ce niveau de responsabilité et pour une cérémonie à laquelle le président de République est convié. Plutôt, un affront protocolaire, délibérément fait, sans respect des us et coutumes en la matière, sur fonds de lutte de positionnement, d’une part,  pour le contrôle du bureau de l’assemblée nationale et d’autre part, pour la recherche, la défense, la satisfaction et la  jouissance des délices personnelles et égoïstes du pouvoir. Une preuve manifeste, palpable et visible du désamour entre les deux personnalités. Désormais, le peuple sait que ces deux personnalités ne s’aiment plus et ne poursuivent plus les mêmes buts : écrire l’une des plus belles pages de l’histoire de la Rca et du peuple centrafricain. Ce qui compte pour elles, ce n’est rien d’autre que la défense de leurs intérêts particuliers, égoïstes, terrestres et mortels.

Mais entre les deux, la responsabilité du président Touadéra apparait comme la plus pesante devant l’histoire. Pour la simple raison qu’il est aux yeux du peuple centrafricain comme celui qui a été élu et qui de facto et de jure est appelé à être le garant de la préservation des intérêts fondamentaux de l’Etat, le juge de la légalité et le rassembleur des uns et des autres autour des valeurs immortelles qui unissent la nation et devant garantir sa pérennité.

A ce titre, quelle que soit la gravité des difficultés auxquelles il est confronté, il a l’humble devoir d’avoir le courage d’avaler sa colère, de dominer ses pulsions humaines, et de ne pas laisser s’éclater au grand jour son mécontentement, comme il l’a fait ce jour – là. En agissant ainsi, il se serait réellement comporté en homme d’Etat, en bon père de famille et en défenseur invétéré des valeurs de la République. Malheureusement, il n’en était pas ainsi et il n’est pas ainsi depuis presque deux ans. C’est honteux et très dangereux pour l’image, l’honneur et la dignité de la République dont il est l’incarnation. Et c’est ce qui explique à merveilles la situation dramatique dans laquelle se trouve aujourd’hui le pays de B. Boganda qui n’existe plus que de nom. C’est ce qui contredit de la manière irréfragable ce qu’avait dit, son challenger dans cette bataille de positionnement, Karim Méckassoua, dans une interview accordée au journal en ligne CNC, «  il n’y a jamais eu de crise entre l’exécutif et le législatif ».

Finalement, entre les deux, qui dit la vérité au peuple ? Entre les deux, qui tente de donner une autre image de la société centrafricaine que celle des Troglodytes ? Entre les deux, qui peut sauver hic et nunc le peuple de la situation actuelle par le respect des valeurs immortelles de la vertu ?

Jean – Paul Naïba

 

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