A Kinshasa, Macron face aux tensions avec Kigali

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La dernière étape kinoise de la tournée du président français en Afrique centrale sera sans doute la plus délicate à négocier. Officiellement, Emmanuel Macron est en RDC pour « approfondir les relations franco-congolaises dans les domaines de l’éducation, de la santé, la recherche, la culture et de la défense ». Il sera aussi question de partenariats économiques autour des grands projets d’infrastructures, mais le dossier qui sera particulièrement scruté par les Congolais sera celui de la guerre qui sévit à l’Est du pays. Emmanuel Macron arrive en effet dans un contexte sécuritaire particulièrement dégradé. Les rebelles du M23 occupent désormais de nombreuses localités du Rutshuru, du Niyragongo et du Masisi, et se trouvent à une trentaine de kilomètres de Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu. La RDC et son voisin rwandais, qui soutient militairement le M23, sont à couteaux tirés, et Kinshasa demande depuis des mois la condamnation de Kigali par les Nations unies. Une demande restée lettre morte pour l’instant.

Une France pro-Rwanda ?

La principale difficulté du déplacement d’Emmanuel Macron en RDC, c’est qu’aujourd’hui, l’opinion publique congolaise considère la France comme largement pro-rwandaise. Depuis Nicolas Sarkozy, Paris tente péniblement de recoller les morceaux avec Kigali, après le rôle trouble qu’elle a joué pendant le génocide des Tutsis en 1994. Emmanuel Macron est sans doute le président français qui est allé le plus loin dans le rapprochement avec Kigali. Une coopération militaire et stratégique est sur les rails, et le patron français du renseignement militaire s’est même rendu à Kigali en novembre dernier. Vu de Kinshasa, tous ces signaux font de Paris un allié du président Paul Kagame, davantage que de Félix Tshisekedi. La France a également attendu décembre 2022, avec d’autres pays européens, pour condamner le soutien du Rwanda au M23, alors que depuis l’été, un rapport confidentiel de l’ONU confirmait l’implication de Kigali aux côtés des rebelles. Plusieurs ONG congolaises et internationales s’étaient émues en décembre dernier de l’aide militaire de 20 millions d’euros donné par l’Union européenne à Kigali, alors que dans le même temps l’ONU dénonçait le soutien rwandais au M23. Paris avait fortement soutenu le dossier.

Macron médiateur

Le sentiment anti-français est bien moins prononcé qu’au Sahel, mais les Congolais dénoncent un « silence coupable » de Paris sur la responsabilité rwandaise dans la guerre à l’Est. Ils reprochent à la France, et aux Occidentaux d’une manière générale, d’avoir tardé à condamner Kigali. Sur les réseaux sociaux, les Congolais critiquent « l’hypocrisie » de la France et son double-jeu avec Kigali. « La France accordait beaucoup plus d’importance aux pays du Sahel. Maintenant qu’elle est boycottée là-bas, elle veut renforcer ses relations avec la RDC ! », s’étonne un Congolais sur un réseau social. Emmanuel Macron devra donc convaincre les Congolais que la France est à leur côté dans ce conflit. Ses paroles, les mots choisis, ainsi que la condamnation explicite du Rwanda sont très attendus. Du côté de la présidence congolaise, on attend aussi beaucoup de cette visite sur le plan diplomatique. Félix Tshisekedi espère que la France pèsera de tout son poids pour contraindre les Nations unies de condamner et de sanctionner Kigali pour son aide aux rebelles du M23. Mais la partie n’est pas vraiment gagnée. On l’a d’ailleurs vu lors de son discours à l’Elysée, la veille de sa tournée africaine. Répondant à une question d’un journaliste congolais sur la guerre à l’Est, le président français a botté en touche, sans citer le Rwanda. Pour l’instant, Emmanuel Macron tente plutôt de jouer la carte de la médiation entre la RDC et le Rwanda. A New-York, en septembre dernier, il avait fait se rencontrer Félix Tshisekedi et Paul Kagame. La poignée de main entre les deux hommes avait fait beaucoup parler, mais sur le terrain, rien n’avait changé. Pire, cinq mois plus tard, le M23 avait doublé ses zones d’occupation au Nord-Kivu.

L’image de la France dégringole

Pour renouer avec une Afrique qui lui tourne le dos, Emmanuel Macron devra donc être particulièrement convaincant à Kinshasa. Le Congo n’est pas spécialement hostile à la France, mais les Congolais attendent des preuves d’amour. La RDC est certes le plus grand pays francophone au monde, mais l’image de la France est en net recul. Une récente étude réalisée par le Groupe d’Etude sur le Congo (GEC), Ebuteli, et l’institut de sondages Berci, montre que seulement 29% des Congolais ont une bonne opinion de la France. Les préférences des Congolais se portent largement sur la Russie (60%), le Japon (52%), la Corée du Sud (47%) ou la Chine (47%). La France n’arrive qu’en 20ème position. Il faudra sans doute davantage qu’une visite présidentielle de quelques heures pour remonter la pente.

Christophe Rigaud – Afrikarabia

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