Révélations de JEUNE AFRIQUE sur Amougou Belinga, l’homme qui faisait trembler Yaoundé

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Le Camerounais Amougou Belinga, patron du groupe de presse l’Anecdote

Le Camerounais Amougou Belinga, patron du groupe de presse l’Anecdote

Si au Cameroun la presse a fait une petite pause sur les derniers développements dans l’affaire dit « Amougou Belinga », la presse internationale de son côté continue d’en faire son choux gras.

Le journal panafricain « JEUNE AFRIQUE », dans sa parution de ce 08 septembre 2020, fait de nouvelles révélations sur l’ambiance qui règne dans le sérail depuis le début de cette crise. LECTURE.

Entendu dans une affaire de meurtre, l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Belinga défraye la chronique. Portrait d’un homme dont l’ascension fut fulgurante et dont l’outrecuidance pourrait bien avoir précipité la chute.
Au Cameroun, les mésaventures de Jean-Pierre Amougou Belinga constituent le feuilleton de la rentrée. Courant août, cet homme d’affaires de 55 ans a été entendu par les limiers de la direction régionale de la police judiciaire de Yaoundé dans le cadre de l’enquête sur le meurtre de Bryant Formbor, un jeune jet-setteur nuitamment poignardé, le 5 juin, dans une rue de la capitale camerounaise.

Les investigations sont toujours en cours et Amougou Belinga a pour l’instant été entendu comme témoin dans cette affaire compliquée, mêlant dispute amoureuse et chantage. Selon nos sources, il nie toute implication. À ses proches, il dit être la victime d’un complot et implique les plus hauts responsables de la police. Ses amis organisent des marches en sa faveur à travers des villes du pays et jusqu’à Paris où, les 19 septembre et 3 octobre prochains, des figures connues de la diaspora lui manifesteront leur soutien.
Autrefois ami des puissants, Amougou Belinga est désormais prêt à aller en guerre contre le système qui l’a engendré. À Yaoundé, on lui attribue des enregistrements fuitant sur les réseaux sociaux et messageries cryptées. On l’y entend tancer des ambassadeurs, insulter ministres et hauts fonctionnaires, tout en proclamant sa fidélité au président Paul Biya. Il y revendique aussi l’amitié du ministre des Finances, Louis Paul Motaze, la protection du puissant ministre de la Justice, Laurent Esso, et même une certaine proximité avec des chefs d’État de la sous-région, dont le Centrafricain Faustin-Archange Touadéra.

Source d’embarras

Homme de médias, Amougou Belinga ne s’est jamais privé de rappeler sa capacité de nuisance, lui qui possède plusieurs journaux, une radio et quatre chaînes de télévision, dont Vision 4, déclinée en filiale à Brazzaville et à Bangui. Il détient aussi depuis quelques mois Télésud, la chaîne basée à Paris récemment cédée par l’État du Gabon et dont la vocation est de devenir le vaisseau amiral du groupe. Son empire ne s’arrête pas là : il possède une banque – Vision Finance – et une université privée. Il construit même des tours jumelles dans la capitale camerounaise et a annoncé une bibliothèque en hommage au chef de l’État.

Amougou Belinga s’est enrichi grâce à la commande publique, ses entrées au sein des régies financières lui garantissant d’être payé rubis sur ongle quand d’autres fournisseurs de l’État doivent patienter avant de passer à la caisse. Mais l’entrepreneur a fini par devenir une source d’embarras pour le pouvoir, tant ses déboires ont mis en lumière des mœurs jusqu’ici soustraites au regard et un monde où l’on enregistre allègrement les conversations privées, parfois à des fins de chantage, et où les photos et vidéos intimes deviennent des moyens de pression, le tout sur fond de guerre opposant les baronnies affairistes de la classe gouvernante.

Jamais personne n’était allé aussi loin qu’Amougou Belinga… Quiconque l’a vu et écouté sur l’une de ses chaînes reconnaît sa voix gutturale dans un enregistrement qu’il est soupçonné d’avoir lui-même diffusé, et dans lequel il prend soin de nommer ses interlocuteurs et de dater les échanges. C’est le cas avec une certaine « Madame Fouda », en l’occurrence l’épouse du contre-amiral Joseph Fouda, conseiller spécial et plus proche collaborateur de Paul Biya. « Aujourd’hui, c’est le 8 juillet 2020. Pourquoi me sollicitez-vous seulement quand vous avez besoin d’argent ? » interroge la voix reconnaissable entre toutes. S’ensuit alors une conversation décousue, au cours de laquelle il demande à sa visiteuse de lui obtenir le soutien de son époux.

Transgressions

Dans un autre enregistrement, on l’entend formuler cette injonction stupéfiante : « Taisez-vous quand je parle, Monsieur l’ambassadeur ! Vous me la bouclez », intime-t-il à Nicolas Nzoyoun, l’ambassadeur du Cameroun en Centrafrique. Dans cet audio devenu viral, Amougou Belinga ne veut rien écouter des explications bafouillées par le diplomate pour justifier son absence à la cérémonie d’inauguration de la filiale centrafricaine de Vision 4.

« MÛ AU FIL DES JOURS PAR ON NE SAIT QUELLE AUDACE TRANSGRESSIVE, IL A POUSSÉ LE BOUCHON CHAQUE JOUR UN PEU PLUS LOIN. »

Dans ce même audio, il évoque plus tard un mystérieux don. « J’ai appelé le directeur général du Trésor, j’ai vu le ministre des Finances… Il a réglé le problème ! Il veut même encore vous envoyer autre chose ! » Il ajoute que, via un intermédiaire, il aurait lui-même octroyé 400 millions Fcfa à l’ambassadeur et à un certain « ministre des Télécommunications » – à ce jour, nul ne sait à qui Amougou Belinga faisait allusion. Quant à l’ambassadeur, il a été sommé de s’expliquer par Lejeune Mbella Mbella, le ministre camerounais des Relations extérieures.

Mû au fil des jours par on ne sait quelle audace transgressive, il a poussé le bouchon chaque jour un peu plus loin. Ainsi en est-il lorsqu’il demanda, le 5 juillet dernier, aux journalistes de Vision 4 de diffuser à l’antenne les appels de téléspectateurs quasiment tous hostiles à Martin Mbarga Nguélé, le patron de la police avec qui il était brouillé. Sauf qu’une salariée de la chaîne, récemment licenciée mais que l’on avait oublié de retirer du groupe de messagerie cryptée interne, eut l’idée vengeresse de rendre publiques les pressions du patron sur le présentateur de l’émission.

Ce dernier avait accepté de passer les appels à l’antenne, mais refusé de prolonger la durée du programme. Mal lui en a pris : il fut contraint de lire son propre limogeage sur le plateau quelques jours plus tard. Quant au patron de la police, il prit l’émission pour une déclaration de guerre. Dès le lendemain de la diffusion, les 13 policiers affectés à la garde personnelle d’Amougou Belinga furent rappelés. « Vous en paierez le prix ! », menaça Amougou Belinga.

Vaste réseau

Qui est donc ce personnage devenu puissant au point de faire trembler les plus hauts responsables politiques ? Sa vie, il ne se lasse pas de la raconter lors d’interviews diffusées sur ses chaînes de télévision. Dans un pays où d’autres n’hésitent pas à s’inventer une ascendance nobiliaire au sein de royautés traditionnelles fantasmagoriques, lui se dévoile jusqu’à l’impudeur. C’est l’histoire d’un jeune monté du village, une localité perdue dans la brousse à quelques encablures de la capitale avec l’espoir de conjurer un destin familial de planteur de cacao. Une enfance entre un père polygame, peu concerné par l’éducation de ses enfants, et une mère-courage, décédée alors qu’il était adolescent. « Je peux assurer n’avoir jamais vu ma mère acheter de la viande de bœuf », aime-t-il raconter.

De la manutention aux chantiers ferroviaires, il enchaîne les petits boulots. L’histoire s’emballe à partir des années 1990, quand le Cameroun plonge dans une crise politique sans précédent. Dans les rues, les pneus brûlent devant les barricades de manifestants réclamant le multipartisme et une conférence nationale souveraine. Paul Biya est contesté et la jeunesse béti, le groupe ethnique auquel appartient le chef de l’État, est appelée à défendre le pouvoir.

Ce grand chambardement offre des opportunités à tous les laissés pour compte. L’ancien manutentionnaire n’est pas reste. Le voilà journaliste et, bientôt, il fonde L’Anecdote, son propre titre, positionné proche du pouvoir. Il embrasse ce système qu’il a si longtemps observé de l’extérieur. Il devient l’ami de Laurent Esso, le puissant ministre de la Justice, et plus grand monde ne lui résiste. Amougou Belinga épouse en deuxièmes noces Sarah Limunga Itambi, l’avocate générale de la Cour suprême.

« SON OUTRECUIDANCE A-T-ELLE FINI PAR INQUIÉTER CEUX-LÀ MÊME QUI LE PROTÉGEAIENT ? »

Son réseau s’étend, ses affaires fleurissent. Il se développe dans la sous-région et ambitionne même de s’étendre en Afrique de l’Ouest, notamment au Togo, où il est reçu en juin 2018 par le président Faure Gnassingbé. Au Gabon, sa situation est plus délicate : Vision 4 a été suspendue car ses journalistes avaient annoncé la mort d’Ali Bongo Ondimba, alors soigné en Arabie saoudite. Il a depuis entrepris des démarches pour rencontrer Noureddin Bongo Valentin, le coordinateur général des Affaires présidentielles – en vain.

Dérives répétées

Au Cameroun, ses médias sont en première ligne pour défendre Paul Biya face à l’adversité. Mais ils ont la fâcheuse habitude de se prendre pour un tribunal populaire. En 2006, l’hebdomadaire L’Anecdote avait publié un « Top 50 des homosexuels présumés du Cameroun » : ministres, directeurs généraux, patrons du privé et journalistes furent cités. Certains, s’estimant calomniés, avaient porté plainte. On s’attendait à une cascade de condamnations. Ce fut une tempête dans un verre d’eau. La justice se montra d’une étonnante mansuétude à l’égard ce justiciable peu commun.

Amougou Belinga ne s’arrêta pas là. Un soir de novembre 2017, la chaîne Vision 4 diffusa un reportage montrant la nudité de l’opposant Vincent Sosthène Fouda. Commentaire de la journaliste : « Il n’a pas été gâté par la nature ». Face aux dérives répétées, le Conseil national de la communication (CNC) tapa du poing sur la table. Les journalistes furent suspendus d’antenne, décision qu’Amougou Belinga choisit d’ignorer. Il porta même plainte pour diffamation contre le président du CNC, Peter Essoka, et obtint sa condamnation, assortie d’une amende de quinze millions de Fcfa !

Son influence s’accroît. Quand il séjourne en France, il descend dans un palace parisien avenue George V, où ses excentricités lui ont valu une réputation peu flatteuse. À ses visiteurs, le personnel hôtelier prévient : l’attente peut durer des heures. Et c’est en peignoir qu’il reçoit !

Est-il allé trop loin ? Son outrecuidance a-t-elle fini par inquiéter ceux-là même qui le protégeaient ? Le 29 juillet dernier, une mesure d’interdiction de sortie du territoire a finalement été émise à son encontre en raison de l’enquête sur le meurtre de Bryant Formbor. L’homme d’affaires, toujours au Cameroun, tente depuis de mettre ses affaires à l’abri. Il a suspendu les émissions de Vision 4 et commandité la restructuration de son groupe de presse, tout en prenant contact pour délocaliser ses affaires à Maurice ou à Dubaï, via la création d’une holding. À trop s’approcher du pouvoir, l’homme qui faisait trembler la République a fini par se brûler les ailes.

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