
Nous avons observé une avalanche de réactions dithyrambiques depuis ce vendredi 5 juin, date à laquelle la Cour constitutionnelle a rendu un avis défavorable sur la proposition de loi portant modification de certaines dispositions de la Constitution du 30 mars 2016, relatives à la prorogation de la durée du mandat du président de la République en cas de glissement du calendrier électoral.
Quand certains acteurs, et non des moindres, couvrent d’éloges les juges de la Cour constitutionnelle, d’autres évoquent un jour historique pour qualifier la décision.
Par contre, en ce qui nous concerne, nous disons que les juges de la Cour constitutionnelle n’ont aucun mérite à dire le droit, sous la pression ou pas, puisque c’est le rôle qui leur est dévolu par la Constitution. Ils sont payés par la collectivité pour cela. Et comme nous l’avons toujours rappelé, il faut veiller à ce que les membres de la plus haute institution judiciaire de notre pays ne deviennent pas de simples auxiliaires de justice, prompts à aller au-devant des désirs du maitre du moment. Ce sont de tels comportements qui conduisent au totalitarisme. D’autant que la Cour Constitutionnelle doit rester le symbole d’une justice indépendante à l’égard du pouvoir politique.
Cela dit, devant de telles conclusions, nous avons du mal à réprimer une certaine perplexité. Quand par exemple l’un des initiateurs de la proposition de loi constitutionnelle affiche sa satisfaction au micro de RFI parce que, soutient-il, la décision aurait mis un terme aux velléités d’une éventuelle transition. Nous disons que nous n’avons pas lu le même texte. Car si au 30 mars 2021, le successeur du président Faustin Archange Touadera n’est pas désigné par les électeurs, les dispositions constitutionnelles relatives aux prérogatives liées à la fonction de Chef de l’État cesseront de s’appliquer. Le président sortant n’ayant plus aucune légalité, encore moins aucune légitimité pour conduire les affaires de l’État. Nous rentrerons ipso-facto dans une phase transitoire. Que la Cour constitutionnelle l’accepte ou pas, c’est un fait et il parait que les faits sont têtus.
Raison pour laquelle depuis le 1er avril dernier, nous appelions le président de la République et les siens à engager une concertation avec l’ensemble des forces vives de la nation afin de trouver une réponse consensuelle à la question du glissement du calendrier électoral. Et c’est l’une des recommandations figurant dans la décision de la Cour constitutionnelle.
Mais là où l’on s’inquiète véritablement, c’est quand les juges constitutionnels s’arrogent le pouvoir d’intervenir dans l’arrangement politique à venir. Ce n’est ni leur rôle, ni encore moins, leur mission. Affirmer que les résultats de la concertation doivent être soumis à la Cour constitutionnelle avant leur adoption, comme le fait les juges, c’est outrepasser les prérogatives dévolues à la Cour constitutionnelle. Ces juges veulent ainsi s’offrir la possibilité de connaître d’une affaire relevant de la seule volonté politique des forces vives de la Nation.
Cette disposition figurant dans l’économie de la décision de la Cour constitutionnelle devrait plutôt interpeller les vrais démocrates et susciter leur méfiance. Mais depuis, l’enthousiasme et l’euphorie qui ont suivi la décision de la Cour constitutionnelle, empêchent les leaders centrafricains à se poser de vraies questions.
Par exemple, si l’on retient l’hypothèse émise par la Cour constitutionnelle, quelle entité, ou quelle institution sera chargée de déférer l’arrangement politique au juge constitutionnel pour la vérification de sa compatibilité avec la Constitution ? Dès lors que les pouvoirs exécutifs et législatifs sortants auront perdu toute légitimité. Pourquoi la cour constitutionnelle souhaite d’abord se prononcer sur l’arrangement qui sortira des discussions avec le chef de l’État avant son entrée en application ? Pourquoi la communauté internationale tient coûte que coûte à ce que ces élections générales soient organisées dans les conditions calamiteuses actuelles ?
Il appartient aux leaders centrafricains de se mettre d’accord sur le délai nécessaire à l’organisation des élections acceptables par tous, c’est-à-dire libres, équitables et transparentes. Et un tel scrutin ne s’organise pas en cinq mois. Il faut être sérieux un jour dans ce pays.
L’on se souvient qu’à l’époque de la signature des accords dits de paix de Khartoum, nous disions qu’il eût fallu exiger des groupes armés de se désarmer avant d’envisager l’intégration de leurs cadres dans le gouvernement. Certains nous avaient accusé de faire preuve de mauvaise foi, tandis que d’autres nous gratifiaient du substantif peu flatteur de rabat-joie. Aujourd’hui, nous connaissons la suite. On avait eu tort d’avoir raison trop tôt. Si, comme on l’observe aujourd’hui, aucun acteur politique ne s’élève contre cette tentation de la Cour constitutionnelle de se mêler des questions qui ne la regarde pas, que personne ne vient se plaindre demain, lorsque ces mêmes juges voudront imposer leurs points de vue à tous.
Faire de la politique, c’est aussi savoir être prévoyant et anticiper les mauvais coups.
ÉDITORIAL DE BANGUI FM 08 JUIN 2020
Lu Pour Vous
La rédaction