Centrafrique : Vue d’ensemble des violations des droits de l’homme, selon le dernier rapport de l’Onu

 

…..Vue d’ensemble des violations des droits de l’homme

Malgré les efforts déployés pour relever les défis auxquels est confronté le système judiciaire et pénitentiaire, les détentions illégales et/ou arbitraires ainsi que les mauvaises conditions de détention requièrent une action urgente et concrète. Bien que les autorités compétentes (procureurs, juges d’instruction et officiers de police judiciaire) délivrent des mandats pour la plupart des cas d’arrestation, le non-respect du délai prévu par l’article 40 du Code de procédure pénale (CPP), équivaut à une détention illégale. Il convient de noter qu’avec l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution en 30 août 2023, il est nécessaire d’harmoniser le CPP avec la constitution étant donné que cette dernière prévoit un délai de garde à vue plus court que celui du CPP. A ce jour, le CPP reste largement appliqué. En outre, les mauvaises conditions de détention dans les lieux de privations de liberté, notamment le manque d’hygiène et de salubrité, la nourriture insuffisante, la non-séparation des catégories de détenus et les cas de torture dans lesdits lieux, demeurent préoccupantes en ce qu’elles ne répondent pas aux normes minimales émises (Règles de Mandela) et aux autres dispositions internationales telles que celles du PIDCP
et de la DUDH.

Arrestation et détention illégale et/ou arbitraire

En 2023, la MINUSCA a documenté 431 arrestations et détentions illégales et/ou arbitraires du fait des agents de l’État, affectant 1 521 victimes (dont 61 femmes, 10 filles, 87 garçons et deux groupes de victimes collectives17). L’article 40 du CPP dispose que la garde-à-vue est prévue pour 72 heures renouvelables une seule fois. A l’expiration de ce délai, la personne gardée à vue sera présentée au Procureur de la République ou mise immédiatement en liberté.

Au-delà, la garde à vue devient illégale. La nouvelle constitution adoptée le 30 août 2023,
prévoit une garde-à-vue de 48 heures uniquement. Toutefois, la majorité des autorités
compétentes en matière de garde-à-vue continuent d’observer les dispositions du CPP, à savoir un délai de 72 heures, renouvelables, et non les nouvelles dispositions de la Constitution. Ce constat soulève la nécessité de réviser le CP et le CPP afin de les harmoniser avec la nouvelle Constitution.

La MINUSCA a par ailleurs constaté une situation persistante et inquiétante des arrestations et détentions illégales par les FACA et/ou les autres personnels de sécurité (APS), et ce, alors qu’aucun texte juridique national ne l’autorise. Si les FACA peuvent contribuer à la force publique en procédant à l’arrestation d’un civil dans une situation de flagrant délit, cette possibilité est conditionnée à la remise immédiate de ladite personne aux autorités compétentes en matière de garde-à-vue à savoir les officiers de police judiciaire18 (OPJ) qui sont dépositaires de l’autorité publique pour contraindre un civil, l’arrêter et le détenir. La MINUSCA a documenté, en 2023, 41 cas d’arrestation et de détention illégales du seul fait des FACA affectant 98 victimes (dont quatre femmes, trois filles et 19 garçons) et 25 violations du seul fait des APS affectant 63 victimes (dont trois femmes et deux garçons).

À titre d’exemple, en janvier 2023, un homme souffrant d’une maladie mentale a été arrêté en Haute-Kotto par des éléments FACA. Il a été ligoté puis torturé avant d’être remis à des APS qui l’ont transféré à la gendarmerie de Bria. Au regard de son état, il fût transféré dans une unité de soins qui révéla un traumatisme crânien et plusieurs séquelles corporelles. A ce jour, aucune enquête n’a été diligentée. En mai 2023, des FACA ont illégalement arrêté et détenu quatre civils en Nana-Grébizi, les ont amenés à leur base et ont gardé deux civils pour interrogatoires.

Du fait des mauvais traitements, l’un des détenus est décédé et l’autre fût transféré à la base des FACA à Kaga-Bandoro après que ces derniers lui eurent soutiré des aveux sous la contrainte. A noter que l’article 6 du PIDCP impose l’obligation à l’État à diligenter une enquête pour déterminer les causes de la mort en détention, dans des circonstances non naturelles, et de démontrer son absence de responsabilité quant à celles-ci.

En août 2023, des éléments FACA ont arrêté et détenu illégalement 11 hommes à Obo (Haut-Mbomou) à la suite d’une attaque subie par un élément FACA, les soupçonnant d’être
impliqués. Les victimes ont été enfermées dans un container proche de la base des FACA, où des gendarmes sont venus les interroger. Les 11 hommes ont été victimes de traitements inhumains lors de leur arrestation ainsi que durant les cinq jours passés au sein du container. Ils n’ont pu accéder à des toilettes, ni à de l’eau en quantité suffisante malgré la chaleur intense du containeur, et n’ont pu recevoir de la nourriture qu’à travers les trous du container par certains éléments FACA semblant se désolidariser des traitements infligés par leurs collègues. Des tels actes équivalent, du fait de leur intensité, à de la torture.

Après cinq jours, les 11 hommes ont été remis à la Gendarmerie d’Obo sur instruction du Procureur de Bangui. L’absence d’enquête diligentée pour établir la responsabilité des auteurs de telles violations, reste à déplorer. A noter que la Convention contre la torture n’autorise aucune dérogation à l’interdiction de la torture, même en cas de situation exceptionnelle ou de conflit armé. Ainsi, le droit international des droits de l’homme protège toute personne contre la torture et obligent les États à s’abstenir de commettre de tels actes. Les autorités ont l’obligation de prendre des mesures concrètes et poursuivre les agents de l’État impliqués dans de tels actes. S’agissant des conditions de détention documentées, les lieux de privation de liberté doivent répondre à toutes les normes
d’hygiène et tenir compte notamment du climat, de la surface minimale au sol et de la
ventilation, afin que toute personne soit traitée avec humanité et dignité, tel que prévu par
l’article 10 du PIDCP. La détention d’un individu dans un conteneur ne répond pas à ces
exigences.

A noter qu’en 2023, les plaidoyers menés par la MINUSCA en faveur du respect des délais
légaux de la garde-à-vue et de la procédure ont permis la libération ou la régularisation (relaxe ou mise sous mandat de dépôt) de 261 personnes détenues en lieux de privation de liberté. Ces plaidoyers ont également permis l’amélioration des conditions de détention, le transfert de détenus malades dans des centres de soin, le placement des mineurs et des femmes dans des cellules séparées et l’amélioration de la chaine judiciaire et pénale par l’arrivée de magistrats à leur poste.

S’agissant des établissements pénitentiaires, ils demeurent majoritairement occupés par des détenus en attente de jugement, et dès lors, présumés innocents en vertu de la loi. En janvier 2023, 2196 personnes (incluant 75 femmes et 16 mineurs) étaient détenues en République centrafricaine dont 1630 (incluant 58 femmes et 16 mineurs) en attentes de jugement (74%). En décembre 2023, 2678 personnes (incluant 104 femmes et 42 mineurs) étaient détenues au total, dont 1749 (incluant 78 femmes et 36 mineurs) en attente de jugement (65%). Cette légère amélioration est due en partie aux sessions criminelles tenues au cours de l’année et aux différents plaidoyers de la MINUSCA.

S’agissant de la maison centrale de Ngaragba (Bangui), sur les 1485 détenus, 77% des détenus étaient en attente de jugement en janvier 2023 et 67% en décembre 2023 (sur 1546 détenus au total). En août 2023, au moins 500 individus sont détenus hors des délais légaux de la détention provisoire. La MINUSCA a documenté les cas de 26 personnes détenues provisoirement depuis 2016 et 2020, toujours en 2023, relevant pour la plupart de la compétence de tribunaux de régions. Aussi, certains détenus sont en détention provisoire depuis près de six années, sans avoir été présentés à un magistrat suite à leur mandat de dépôt. Eu égard au taux de surpopulation globale en République centrafricaine qui demeure de 90% en décembre 202321, un tel recours systématique à la détention provisoire doit être analysé, en ce qu’il impacte fortement les conditions des détenus.

Le recours systématique au placement sous mandat de dépôt des détenus semble s’opérer sans examen adéquat de la nécessité et de la proportionnalité de la mesure22. Le contrôle de la légalité, par le juge, et de l’opportunité du maintien en détention s’avère également défectueux.

En ce sens, le CPP consacre de manière claire le principe selon lequel la liberté est la règle et la détention l’exception, là où la réalité actuelle consacre l’inverse. Par ailleurs, les détenus transférés dans d’autres établissements pénitentiaires sont davantage impactés par des détentions provisoires prolongées en ce qu’ils ne peuvent bénéficier de l’aide de leurs familles pour suppléer aux manques de ressources alimentaires allouées aux prisons.

En août 2023, environ 250 détenus de Ngaragba, en attente de jugement, venaient de province et cumulaient entre une année à sept années de détention provisoire. Si la gravité des faits reprochés permet de justifier un tel placement, il n’en demeure pas moins qu’au regard du manque d’infrastructure, de la surpopulation et du budget consacré à l’alimentation, il apparait nécessaire que la situation soit adaptée et les délais légaux respectés.

Au Camp de Roux, un établissement pénitentiaire situé à Bangui, la MINUSCA a documenté de manière régulière en 2023 la situation préoccupante de 20 personnes privées de liberté illégalement depuis plusieurs années, notamment de deux personnes détenues depuis plus de six ans en vertu d’une simple ordonnance d’incarcération dont la validité ne peut dépasser cinq jours, et sans n’avoir jamais rencontré de magistrat. Ces derniers ont subi des mauvais traitements en détention, de telle sorte que l’un a développé des troubles mentaux. Grâce aux plaidoyers de la MINUSCA, leurs affaires ont été inscrites à la deuxième session criminelle de 2023, lors de laquelle la Cour d’Appel les a acquittés de toutes charges reprochées. Les préjudices physiques et moraux subis par les détenus du fait de leur condition de détention et de la longueur de celle-ci restent à déplorer et ne pourront être réparés.

Enfin, s’il fut constaté que certains OPJ ont conscience de leurs responsabilités quant au respect des délais légaux de garde-à-vue, les difficultés rencontrées par le système judiciaire et pénal possèdent un impact certain sur leur capacité à respecter de tels délais. Ainsi, en avril 2023, due à l’absence prolongée du Procureur et du Président du Tribunal de grande instance (TGI) de Kaga-Bandoro (Nana-Grébizi) depuis janvier 2023, et à défaut de prison, les cellules de la police comptaient 28 hommes dont 17 gardés-à-vue, tous en dépassement des délais légaux d’un à quatre mois, ainsi que quatre condamnés et sept sous mandat de dépôt. Les cellules de la gendarmerie dans la même ville comptaient 32 hommes dont 31 gardés-à-vue en dépassement des délais légaux d’un à six mois et une personne sous mandat de dépôt. Tous étaient mélangés dans les mêmes cellules, qui ne sont pas prévues ni pensées pour accueillir des détenus……

A suivre…..

Source : ANALYSE DE LA PRIVATION DE LIBERTÉ EN RÉPUBLIQUE
CENTRAFRICAINE : ÉTAT DES LIEUX, DÉFIS ET RÉPONSES

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