
Quand les Khmers rouges massacraient les « bourgeois » cambodgiens
Le 15 avril 1998 mourait Pol Pot. Son héritage ? Un génocide durant lequel 20 % de la population cambodgienne a été exterminée.
Par Laurent Legrand
Il y a 17 ans décédait Pol Pot, dirigeant politique et militaire du Cambodge notamment entre 1975 et 1979. Une période au cours de laquelle son régime connu sous le nom de « Khmer rouge » s’est rendu coupable de nombreux crimes de masse, décimant plus d’un quart de sa propre population.
Le 30 avril 1975, la guerre du Vietnam prend fin. L’armée du Nord-Vietnam et du Vietcong entre dans Saïgon, le dernier hélicoptère américain décolle de l’ambassade et quitte le pays après douze années de guerre en Asie du Sud-Est. Les départs cumulés des Français à la suite de la guerre d’Indochine puis des Américains n’ont pas pour conséquence de mettre un terme à la violence, bien au contraire, puisqu’au Laos et au Cambodge d’innombrables crimes sont perpétrés par les gouvernements en place.
Le massacre des Hmong
La fin de la guerre du Vietnam marque le début d’une période de terreur dans le Sud-Est asiatique. Au Cambodge, les Khmers rouges investissent Phnom Penh le 17 avril 1975 et imposent l’évacuation de la ville dans un désordre total. Ce soulèvement des disciples de Pol Pot incite les communistes laotiens à faire de même et à renverser le gouvernement d’union nationale le 2 décembre 1975. La République démocratique populaire du Laos est proclamée, elle met fin à la monarchie et porte au pouvoir le Pathet Lao – organisation politique et paramilitaire laotienne. Une période sombre de l’histoire du Laos synonyme de massacres, durant laquelle sont persécutés les soldats ayant combattu aux côtés des Américains et leurs familles.
Les Hmong n’ont jamais accepté la dictature communiste. Leurs guérilléros, avec à leur tête Vang Pao, ont collaboré avec la CIA dans sa guerre secrète contre le communisme dans la péninsule indochinoise. Les conséquences du désengagement américain vont être dramatiques pour le peuple hmong. « Il faut extirper la minorité hmong jusqu’à la racine », peut-on lire dans le journal du parti. Après les mots viennent les actes et les 40 000 Hmong en plein exode vers la capitale sont accueillis par les balles des soldats du Pathet Lao. Ils tentent de fuir vers les villages, sont arrêtés, subissent des interrogatoires, puis sont envoyés dans des camps de « rééducation » où les conditions de vie sont insoutenables. Face à cette féroce répression, beaucoup d’entre eux trouvent refuge dans la jungle et reprennent le maquis. D’autres s’exilent en masse vers la Thaïlande puis vers les États-Unis, la France ou encore la Guyane.
Le camp S-21, l’abattoir cambodgien
Dans le même temps, au Cambodge devenu le Kampuchéa démocratique, les Khmers rouges décident de transférer toutes les populations des villes, dont le monde de vie est considéré comme décadent, vers les campagnes afin de les « rééduquer ». Les historiens estiment qu’environ 40 % de la population totale du pays a été déportée vers les campagnes.
Les révolutionnaires font sauter la Banque centrale du Cambodge, la monnaie disparaît et le troc se généralise. Kang Kek Ieu, connu sous le pseudonyme de Duch, qui dirigea la prison de Tuol Sleng, appelée S-21, durant la dictature de Pol Pot, proclame que « la dette du sang doit être remboursée par le sang ». La classe bourgeoise – hommes, femmes, enfants, vieillards sans aucune exception – est internée dans des conditions épouvantables, inhumaines, torturée à mort pour obtenir des aveux et dénoncer de prétendus « contre-révolutionnaires ».
Les tortures comportent trois stades. Parfois, la pression psychologique suffit à obtenir des aveux, mais, dès lors qu’elle ne suffit pas, les prisonniers sont soumis à la phase « méchante » puis « mordante ». Les détenus sont massés dans des cellules, attachés à des chaînes et surveillés de jour comme de nuit par des enfants endoctrinés de 13 à 14 ans. Ongles arrachés, coup de fouet, tétons coupés à la tenaille, tête plongée dans de l’eau croupie, électrocution… Les supplices sont nombreux et ceux qui survivent à ces traitements sont exécutés et jetés dans les fosses communes de Choeung Ek, véritable charnier où les victimes ne sont pas tuées par balle mais à la machette, au marteau, au couteau…
Une population décimée
La répression des Khmers rouges a coûté la vie à 1,7 million de Cambodgiens – soit 21 % de la population sur cette période -, « coupables » d’être enseignants, de parler une langue étrangère, d’être religieux ou même simplement de porter des lunettes. Entre 16 000 et 20 000 personnes ont été emprisonnées à S-21. Elles sont quasiment toutes mortes. Pol Pot meurt le 15 avril 1998. Le tortionnaire Kang Kek Ieu, dit Duch, est jugé en 2009. Il écope d’une peine de trente ans de prison, puis, en 2011, lors d’un autre procès, est condamné à la perpétuité.
Le Point