
L’ÉDITORIAL DE BANGUI FM (96.9) DU LUNDI 2 AOÛT 2021
La bêtise insiste toujours
On prête au président Denis Sassou Nguesso la phrase suivante : « Le calme, c’est bon ». Le moins qu’on puisse penser c’est que si lui, le militaire de carrière, lui, qui n’a pas hésité à recourir à la violence armée pour chasser du pouvoir son rival Pascal Lissouba en vient ainsi à vanter les vertus de la paix et de la quiétude, il y a fort à parier que le bruit, sous toute ses formes, est malfaisant. Sans doute, le président congolais, qu’on dit féru d’histoire et pétri d’une culture générale qui ferait pâlir de jalousie les plus brillants chercheurs connait-il cette citation de Victor Hugo : « L’entêtement sans l’intelligence, c’est la sottise soudée au bout de la bêtise et lui servant de rallonge. » Que, par ailleurs, il ne peut ignorer ces propos du Général De Gaulle : « c’est dans la nature des dictatures de finir dans l’excès ».
Voilà un régime dont la légitimité est sujette à caution parce qu’issu d’élection truquées auxquelles seulement moins d’un tiers du corps électoral a participé, qui est confronté à d’innombrables difficultés – à telle enseigne que le Fonds monétaire international (FMI), qui n’a vraiment pas la réputation de s’occuper des questions politiques estime qu’il est inévitable d’organiser une concertation entre les Centrafricains afin de trouver une solution acceptable par tous –, trouve le malin plaisir d’allumer des feux partout. Mais ces feux, à l’instar de Yoweri Museveni, qui aurait chargé Honoré Ngbanda de le transmettre au défunt Maréchal Mobutu Sesse Seko, nous brulera tous, grands comme petits. Un dialogue d’ailleurs que ce même pouvoir et ses tenants entendent transformer en un monologue, gagnant du temps, tout en donnant l’impression d’associer la classe politique à son organisation. Puisque grâce à eux, nous avons découvert que les pouvoirs publics étaient en réalité l’antichambre du MCU et qu’ils se résumaient aux membres du gouvernement et du cabinet de la présidence de la République. Une pantalonnade !
Mais il y a pire : nous avons appris que la Cour constitutionnelle aurait été saisie d’une requête en destitution contre Karim Meckassoua sur la base du rapport des experts des Nations-Unies allégeant la possibilité que ce dernier aurait figuré parmi les membres fondateur de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) ; et que cette Cour, qui n’a de constitutionnelle que le nom, aurait notifié la prétendue plainte à l’intéressé, lui faisant injonction de fournir ses moyens de défense, comme le prévoit la loi, sous dizaine.
Passons sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle elle-même ; ne faisons pas offense aux enfants de Dieu en rappelant qu’un simple rapport, fût-il du ciel et de la terre, n’acquiert aucunement l’autorité de la chose jugée et ne saurait établir la culpabilité de qui que ce soit.
Qu’un farfelu en quête de promotion sociale à tout prix et ses parrains tapis dans l’ombre aient saisi abusivement la Cour constitutionnelle dans le but d’assouvir leur haine recuite à l’égard de Karim Meckassoua, c’est leur droit le plus strict ;
Que la Cour constitutionnelle ait accepté, en toute connaissance de cause, d’apporter une certaine caution légale à une action aussi délirante, on tombe dans le grotesque et le pire. C’est la preuve que les juges de la Cour constitutionnelle se sont transformés en de simples auxiliaires de police, prompts à aller au-devant des désirs, même les plus loufoques, des tenants du pouvoir.
S’il se trouve des personnes parmi nous qui cherchent encore la définition de l’autoritarisme, elles ont là une preuve éclatante. C’est dire que le touaderisme, si tant est qu’il existe, n’est finalement qu’une méthode autoritaire. D’ailleurs, les auteurs Isabelle Mandraud et Julien Théron ne soutiennent pas autre chose dans « Poutine, La stratégie du désordre » (Tallandier, 2021) quand ils écrivent ceci : « Contrairement aux dictatures classiques, qui assument la coercition, les régimes autoritaires tentent de faire croire à leurs peuples qu’ils vivent dans la démocratie. Leur caractère autocratique vient du fait que les dirigeants s’appuient sur de nombreux leviers de contrôles politiques qu’ils actionnent de manière discrétionnaire, afin de conserver le pouvoir indéfiniment. »
Ici, on voit bien que le pouvoir tente d’instrumentaliser la justice pour assassiner politiquement un adversaire qui donne de l’insomnie à ses tenants. Depuis quand sur la base de simples allégations contenues dans un rapport, du reste rejeté en bloc et en détail par le régime de Bangui, on entame une procédure de destitution contre une personnalité qui tire sa légitimité du suffrage universel ? Il n’y a qu’en Centrafrique qu’on peut assister à un tel degré d’abêtissement.
Au-delà, si quelqu’un voulait ouvrir la boite de Pandore qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Pour la simple et la bonne raison que le même rapport regorge des éléments constitutifs de crime de haute trahison imputable à Faustin Archange Touadera. D’autres malins pourront bien s’amuser à saisir la Cour constitutionnelle pour réclamer la destitution de ce dernier et on verra si de telles procédures enchantent les juges constitutionnels.
D’autant que je ne résiste pas au plaisir de rappeler ces quelques lignes tirées du préambule de la Constitution du 30 mars 2016 qui stipulent que le peuple centrafricain s’oppose « fermement à la conquête du pouvoir par la force et à toute forme de dictature et d’oppression ainsi qu’à tout acte de division et d’entretien de la haine » et qu’il est conscient que « la tolérance, l’inclusion, la concertation et le dialogue constituent le socle de la paix et de l’unité nationale »
Alors question : M. Touadera et les siens pratiquent-ils une politique d’inclusion, de concertation et de dialogue ? Elle demeure posée !
L’histoire ayant démontré que toutes les crises que le pays a connues résultent des injustices infligées par les détenteurs du pouvoir à certains citoyens, et de nombreuses frustrations accumulées par ceux-ci, il faut prendre garde de ne pas rendre sympathiques tous ceux utilisent la violence armée comme mode d’accession au pouvoir. Car le terreau sur lequel la coalition Séléka de triste mémoire a prospéré était l’exclusion. On connait la suite.
Encore que le régime de François Bozize disposât de tous les leviers entre les mains, à savoir l’Armée, l’argent de l’État, l’Assemblée nationale. Pour le reste, « un homme avançant à hauteur de l’histoire ne devrait pas avoir peur de se retrouver seul, tant il est vrai que la traversée du désert précède le triomphe. »
Adrien Poussou