Centrafrique : Conditions inhumaines et abominables des détenus et des prisonniers dans les centres de détention et les prisons sous le règne de l’Imposteur de Bangui, selon la Minusca

 

Conditions de détention

Malgré les efforts du gouvernement et d’autres partenaires, les conditions de détention en garde-à-vue et au sein des établissements pénitentiaires sont impactées notamment en raison du manque de ressources humaines et d’infrastructures, des difficultés opérationnelles ainsi que du manque de responsabilité et de supervision. Dans la majorité des cas, les autorités sont confrontées à des défis réels pour se conformer aux normes minimales, notamment celles prévues par le PIDCP et les Règles de Mandela, liées à l’hébergement (Règle n°12), à la séparation des catégories de détenus (Règle n°11), à l’hygiène (Règle n°18), à l’alimentation (Règle n°22) et à la santé (Règle n°24).

Ainsi, en 2023, les conditions de détention restent particulièrement préoccupantes sur
l’ensemble du territoire. La MINUSCA a documenté 152 violations liées aux conditions de
détention contraires aux normes minimales édictées par le droit national et international et
affectant 250 victimes (dont 10 femmes, une fille, 41 garçons, et 87 groupes de victimes
collectives). Celles-ci sont liées à la surpopulation, à l’indignité des cellules de garde-à-vue ou de détention, à la non-séparation des détenus (par sexe, majeurs/mineurs, condamnés/prévenus), au manque d’accès à l’alimentation, à l’eau, à l’assainissement et aux soins de santé de base.

Les difficiles conditions de détention sont multifactorielles. A titre d’illustration, en septembre 2023, à la suite du décès d’un détenu dû à une anémie entrainée par un état de malnutrition aiguë, la MINUSCA a documenté que la prison de Berbérati (Mambéré-Kadéï) abritait 129 détenus pour une capacité d’accueil23 de 60 détenus. Ces derniers dorment sur des nattes à même le sol. Les toilettes de l’établissement sont bouchées depuis plusieurs mois et pratiquement inutilisables, les détenus les débouchant eux-mêmes de leurs propres mains. La ration alimentaire allouée est insuffisante en quantité et en valeur nutritive. Certains détenus n’ont jamais rencontré le juge en charge de leur dossier, après des mois de détention, et les demandes de mises en liberté provisoire demeurent infructueuses. Ces difficultés et ce sentiment d’abandon exprimé par les détenus impactent lourdement leurs conditions de vie, au détriment de leur santé et bien-être le plus élémentaire. La MINUSCA a ainsi identifié plusieurs thématiques illustrant la situation actuelle des lieux de privations de liberté.

Surpopulation

La surpopulation constitue un défi majeur qui contribue aux mauvaises conditions de détention dans les cellules de garde-à-vue et en prisons. Tel est le cas dans huit des 15 prisons fonctionnelles en République centrafricaine. En ce sens, le tableau ci-dessous donne un aperçu de la surpopulation en prison en décembre 2023, qui est due en grande partie à l’usage systématique de la détention provisoire. A noter que la surpopulation au sein des cellules de garde-à-vue est difficile à retranscrire au vu du nombre de lieux existants.

La prison de Ngaragba illustre cette problématique. Elle connait une situation de surpopulation depuis plusieurs années et est devenue si patente que les détenus tentent de trouver de la place là où ils peuvent jusqu’à dormir sur les toits, dans les toilettes, par terre ou dans la cour à même le sol. Un des quartiers de la prison, celui le plus peuplé, renfermait 503 détenus en août 2023, la majorité étant en attente de leur jugement. Au sein de ce quartier, une cellule prévue pour 6 à 10 personnes était occupée par 89 détenus. Il n’y a plus de lit dans la prison, les détenus utilisant des nattes offertes par différents organismes ou parents. Cette surpopulation va de pair avec de mauvaises conditions d’hygiène au sein des cellules, un manque d’aération et un manque d’accès aux sanitaires.

Force est de constater que certaines prisons ne sont pas touchées par la surpopulation à l’instar de la prison de Bimbo qui sera abordée ultérieurement.

En tout état de cause, la surpopulation carcérale compromet les efforts visant à garantir le
respect des normes minimales des Règles de Mandela. S’agissant des huit établissements
pénitentiaires susmentionnés, la surpopulation impacte les conditions d’hébergement (Règles de Mandela n°12), les conditions d’hygiène (n°13), sanitaires (n°15), d’hygiène personnelle (n°18), d’alimentation (n°22).

Malnutrition et risque de mortalité

La surpopulation carcérale est un facteur multiplicateur des dysfonctionnements au sein des prisons, notamment eu égard à l’insuffisance des crédits alimentaires alloués aux établissements pénitentiaires, qui ne sont pas adaptés à l’effectif réel des détenus.

La MINUSCA a constaté une situation de malnutrition généralisée des personnes privées de
liberté notamment du fait des gardes-à-vue prolongées au-delà des délais légaux. La garde-à-vue étant par nature prévue pour une courte durée, le gouvernement ne prévoit pas de budget alimentaire en ce sens. La malnutrition est aggravée par l’éloignement des gardés-à-vue de leur lieu de résidence familiale.

En novembre 2023, un détenu est décédé devant le bureau des Doyens des juges à Bangui des suites de son état de santé fragilisé par une malnutrition avancée. Cet homme avait été arrêté par les APS à Bossangoa et détenu illégalement trois jours au sein de leur base. Les APS l’ont transféré à l’OCRB (Bangui) où il fût gardé pour nécessité d’enquête pendant deux semaines. N’ayant pas de proche à Bangui, il pouvait passer trois à quatre jours sans manger. Malgré son état de santé, il ne fût pas transféré dans un centre de santé mais au Camp de Roux par l’OCRB muni d’une ordonnance d’incarcération signée du Doyen des juges. Le lendemain, il fût conduit au bureau des Doyen des juges pour y être entendu. Ne pouvant s’exprimer lui- même, du fait de son état, il a été entendu par l’intermédiaire d’un codétenu. Suite à l’entretien, il est décédé devant le bureau du Doyen des juges. La longueur des gardes-à-vue répétées et illégales, son éloignement géographique et le manque de diligence de toute la chaine judiciaire sont à l’origine du décès du détenu.

Aussi, étant donné que l’individu était sous la responsabilité des autorités compétentes, ces dernières ont l’obligation d’assurer le plein respect de ses droits. Les articles 9 et 10 du PICDP imposent aux agents de l’État de traiter les personnes privées de liberté avec dignité, à défaut, l’État sera considéré comme n’ayant pas respecté ses obligations internationales. En l’occurrence, les autorités auraient dû agir avec diligence pour assurer à l’individu l’accès à l’alimentation et aux soins de santé et ce, afin de préserver la vie de l’individu. Aussi, comme mentionné (cf. para 19) l’État a l’obligation de diligenter une enquête pour déterminer les causes de la mort et de démontrer son absence de responsabilité quant à celles-ci.

En 2023, la situation de la Section des recherches et d’investigation (SRI) s’est dégradée,
illustrant la problématique des gardes-à-vue prolongées et les conditions difficiles des transférés de provinces qui ne peuvent bénéficier de l’assistance de leurs proches. En avril 2023, sur 122 gardés-à-vue à la SRI, 98 étaient en situation de détention illégale, dont plusieurs totalisaient plus d’une année de garde à vue. La SRI n’étant pas un établissement pénitentiaire, elle ne dispose pas de crédits d’alimentation. Ces dépassements ont été à l’origine de cas de sous-alimentation voire de malnutrition aigüe.

L’absence de prison fonctionnelle dans certains secteurs oblige les OPJ à garder des détenus au sein de leurs unités de police et de gendarmerie sans bénéficier pour autant de crédits alimentaires. Cela est le cas dans de la préfecture de Vakaga, qui ne dispose d’aucune prison fonctionnelle depuis 20 ans. A Boda (Lobaye), à défaut de prison, les détenus demeurent également en cellules de garde-à-vue et ne bénéficient d’une prise en charge alimentaire qu’une fois transférés à la prison de Mbaïki.

S’agissant des prisons, en janvier 2023, 356 cas de malnutrition ont été décomptés par la
MINUSCA et 391 en décembre 2023, avec un pic de 612 cas en octobre 2023. Le budget
alimentaire alloué par le gouvernement demeure insuffisant pour suppléer aux besoins des
détenus et inadapté à la réalité des prisons. La majorité des détenus en République centrafricaine ne reçoivent qu’un repas par jour, en quantité et qualité insuffisante. En mai 2023, 326 cas de malnutrition ont été signalés à la prison centrale de Ngaragba (22% de l’effectif). En août, 68 personnes étaient atteintes de malnutrition aigüe potentiellement mortelle à Ngaragba. En septembre, 41% des détenus de Ngaragba sont touchés par la malnutrition et 39% des détenus à Bangassou. En novembre 2023, malgré le suivi opéré par la MINUSCA, 410 cas de détenus malnutris sont décomptés dont 296 à Ngaragba, 51 à Bambari (Ouaka), 33 à Bangassou (Mbomou) et 30 à Bouar (Nana-Mambéré).

En décembre 2023, la Maison centrale de Bambari, connait un pourcentage de surpopulation carcérale de 186% (capacité d’accueil de 85 détenus pour un effectif de 243 détenus). La prison de Bambari absorbe les détenus des juridictions de la Mobaye et d’Alindao, à défaut de prisons fonctionnelles dans ces localités. Les crédits alimentaires alloués à Bambari s’élèvent à 400.000 XAF par mois (environ 657 USD), soit 55 XAF par détenu par jour (environ 0,09 USD). Ceux- ci ne tiennent ni compte de la surpopulation actuelle ni de ladite absorption et demeurent de facto insuffisants pour prévenir la malnutrition.

A noter que la malnutrition est à l’origine de mutineries. A Bangassou, le 9 février 2023, des détenus ont refusé d’effectuer les tâches pénitentiaires en guise de protestation contre la réduction des rations de nourriture. Le 18 février 2023, à Bangui, les détenus de Ngaragba ont boycotté le repas servi en protestant violemment. Des protestations et tentatives de mutinerie ont également eu lieu dans les prisons de Berbérati et de Bambari.

En réaction, la MINUSCA a aidé le Directeur général des services pénitentiaires à négocier l’achat à crédit de produits alimentaires. La Mission a alloué des fonds aux prisons de Bangassou, Paoua (Ouham-Pendé), Berbérati et Bouar pour l’achat de denrées et mis en œuvre des stratégies destinées à améliorer la qualité et la quantité de nourriture, notamment par la création de potagers et d’élevages.

Ces pis-aller ne permettent toutefois pas d’endiguer les cas de malnutrition qui ont offert un terrain favorable à l’émergence de plusieurs maladies ayant entrainé des décès. Au total, 34 décès ont été enregistrés en 2023 au sein des établissements pénitentiaires. L’insuffisance des soins de santé et les conditions d’hygiènes inadéquates aggravent également la malnutrition et l’apparition de maladies.

Conditions d’hygiène et accès aux soins

En vertu de l’article 10 du PIDCP, et des Règles de Mandela27, l’État a l’obligation de veiller à ce qu’une personne privée de liberté soit traitée avec dignité et qu’elle puisse disposer des installations nécessaires à sa santé et à sa propreté.

Les conditions d’hygiène au sein des lieux de privation de liberté s’avèrent particulièrement
mauvaises et favorisent l’apparition et la propagation de maladies représentant un risque
sanitaire à l’échelle du pays. En septembre 2023, la MINUSCA a relevé au sein de la
gendarmerie de Bria (Haute-Kotto) que les cellules étaient particulièrement sales, et que les gardés-à-vue ne pouvaient pas sortir pour aller aux toilettes. Ces derniers étaient contraints de faire leurs besoins naturels dans des sachets qu’ils jetaient lors des heures de visites. Ce constat a pu être fait dans plusieurs cellules de garde-à-vue au sein de différentes localités du pays.

En 2023, seuls quatre établissements pénitentiaires possèdent une infirmerie fonctionnelle sur tout le territoire. Toutefois le manque de personnel médical ne permet pas de prodiguer des soins immédiats à tous les détenus. Ainsi, la MINUSCA a documenté plusieurs épidémies de tuberculose et de gale, qui, à défaut d’accès adéquat aux soins et du fait de la surpopulation, demeurent à ce jour difficiles à endiguer. Le 17 avril 2023, une épidémie de gale affectait une dizaine de détenus à la SRI, tandis qu’aux mêmes dates, plusieurs détenus de Ngaragba souffraient de tuberculose. Quelques cas ont également été documentés au Camp de Roux, à Bambari, Bouar et Bangassou. En fin d’année 2023, l’épidémie de gale sévissait toujours à la SRI, du fait de la surpopulation, des mauvaises conditions de détention et du manque d’accès aux soins. Le 26 juin, 27 détenus souffrant de tuberculose ont été isolés à Ngaragba pour traitement. Si Ngaragba possède une infirmerie, au regard de sa surpopulation carcérale, cette unité est insuffisante pour pallier l’ensemble des besoins médicaux. Ainsi, un seul quartier est évalué par jour, soit chaque huit jours. Les demandes sont traitées en fonction de l’urgence et il convient d’observer au moins deux semaines pour accéder à un médecin à compter de la date de consultation à l’infirmerie. A Bambari, une mutinerie s’est déclenchée le 16 avril 2023 à la suite du décès d’un détenu. Malgré qu’il s’agisse d’une Maison centrale, il n’y a pas d’infirmerie au sein de la structure dont les conditions sanitaires sont alarmantes depuis plusieurs années.

Plus encore, le manque de diligence des acteurs en charge de la détention impacte l’état de santé des gardés-à-vue et des détenus. La MINUSCA a documenté, en juillet 2023, le décès d’un détenu à la prison de Paoua. Le prévenu nécessitait une évacuation à l’hôpital mais le chef de poste, un élément FACA, a exigé de l’argent comme condition pour le transférer, malgré l’instruction donnée par le Président du TGI. Le détenu est décédé deux jours après. Suite au plaidoyer de la MINUSCA, une enquête judiciaire a été ouverte à l’encontre de cet élément FACA habitué d’une telle pratique d’exiger de l’argent.

La MINUSCA a documenté en juillet 2023 le décès de deux détenus au sein de la prison de
Mbaïki (Lobaye) à quatre jours d’intervalle. Le premier était dans un état critique pendant plus de deux semaines sans que l’administration pénitentiaire ne l’ait conduit à l’hôpital malgré diverses interpellations en ce sens. Il fût inhumé par les détenus à proximité de la prison sans que sa famille ne soit informée. Le second fût transporté à l’hôpital le jour de la visite de la MINUSCA, sur instruction de la Procureure, qui a financé les soins. Le détenu est décédé quelques heures après. La Procureure, suite à ce décès et du fait de la présence de six détenus gravement malades, a entamé un processus de remise en liberté pour soins des détenus malades pour éviter de nouveaux décès en détention. Néanmoins, en septembre 2023, la MINUSCA a effectué une nouvelle visite durant laquelle les mêmes difficultés ont été constatées, notamment l’absence de possibilité de transfert des détenus malades à l’hôpital. Ces décès et l’aggravation de l’état de santé des détenus sont liés à l’absence d’unité de santé, de médicaments essentiels et d’une ligne budgétaire prévue à la prise en charge médicale des détenus.

Source : ANALYSE DE LA PRIVATION DE LIBERTÉ EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE : ÉTAT DES LIEUX, DÉFIS ET RÉPONSES

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