
Mandats le Groupe de travail sur la question de l’utilisation des mercenaires comme moyen de violer les droits de l’Homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes; le Groupe de travail sur la question des droits de l’Homme et des sociétés transnationales et autres entreprises; le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires; la Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires ; et le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
REFERENCE: AL CAF 1/2021
26 mars 2021
Excellence,
Nous avons l’honneur de nous adresser à vous en nos qualités de Groupe de
travail sur l’utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme
et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; de Groupe de
travail sur la question des droits de l’Homme et des sociétés transnationales et autres
entreprises; de Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires; de
Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires; et
de Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants, conformément aux résolutions 42/9, 44/15, 45/3, 44/5, 43/20 du
Conseil des droits de l’homme.
À cet égard, nous souhaitons porter à l’attention du gouvernement de votre
Excellence des informations crédibles que nous avons reçues concernant le
recrutement et l’utilisation de personnel militaire et de sécurité privé dans le
contexte des hostilités en cours en République centrafricaine en soutien aux
Forces armées centrafricaines qui seraient impliquées dans des violations des
droits de l’Homme, notamment des exécutions extrajudiciaires, des disparitions
forcées et des actes de torture.
Selon les informations reçues :
Le 21 août 2018, le ministère de la Défense de la République centrafricaine a signé un accord bilatéral de coopération militaire avec le ministère de la Défense de la Fédération de Russie. Depuis cette date, il semble y avoir une présence croissante d’entrepreneurs militaires et de sécurité privés ayant des liens avec la Fédération de Russie en République centrafricaine.
En particulier, trois acteurs interconnectés nous préoccupent. Premièrement, Sewa Security Services, qui semble être enregistrée en RCA et appartient à des citoyens de la Fédération de Russie. Deuxièmement, Lobaye Invest SARLU enregistrée en RCA et détenue par l’entité juridique russe M FINANCE LLC. Troisièmement, une organisation basée en Russie, connue sous le nom de Groupe Wagner qui ne semble pas avoir « d’existence » en tant qu’entité juridique et opère dans plusieurs pays du monde.
Le réseau d’entreprises susmentionné partage, à des degrés divers, les mêmes structures de gestion, les mêmes gestionnaires, le même personnel et les mêmes identifiants tels que des numéros de téléphone, des adresses et des courriels. Les trois entreprises seraient également liées à un citoyen russe dont l’identité est connue du Groupe de travail. Ces acteurs auraient engagé des dizaines de mercenaires de Syrie, de Libye et d’autres endroits, en plus de leur personnel russe.
Ces entités (souvent désignées sous le nom générique de Groupe Wagner) semblent fournir une formation et une certification aux Forces armées centrafricaines (FACA). Ces dernières s’appuieraient également sur elles pour soutenir leurs capacités et opérations militaires, ainsi que pour protéger les fonctionnaires et les installations minières. Des éléments de preuve suggèrent que Lobaye Invest finance la formation et que du personnel russe la dispense directement. La formation militaire dispensée comprend des instructions sur l’utilisation avancée de divers moyens modernes de guerre électronique (GE), la coordination des actions entre les opérations terrestres et aériennes, ainsi que sur les activités subversives de type partisan/guérilla, la maskirovka, le sabotage et le recrutement (verbovka) d’agents étrangers. En outre, ce réseau d’acteurs s’engage dans la collecte de renseignements et la reconnaissance, et Lobaye Invest, en particulier, cherche à contrôler les concessions minières. Le personnel recruté par ces sociétés semble correspondre aux définitions internationales des mercenaires.
Il apparaît qu’après les premières attaques de la Coalition des Patriotes pour le Changement (CPC) en décembre 2020, les « mercenaires russes », comme ces contractants sont communément décrits, ont été déployés sur presque toutes les lignes de front en RCA.
À la suite de leurs opérations offensives, la plupart des villes et localités précédemment occupées par la CPC ont été reprises par les forces gouvernementales en janvier 2021. Pendant et après ces opérations, des informations faisant état de violations et d’abus du droit international relatif aux droits de l’Homme et du droit international humanitaire par les « mercenaires russes » ont été reçues de différentes sources :
Ciblage indiscriminé et victimes civiles :
Des agents de militaires et de sécurité privés russes auraient ainsi pris pour
cible de manière indiscriminée des civils et ont fait des victimes, notamment le
28 décembre 2020 à Grimani (cinq civils), le 10 janvier 2021 près de la zone de Boali (quatre civils) et le 15 février 2021 (16 civils).
Entre le 15 et le 16 février 2021, les forces gouvernementales et leurs alliés,
dont des « mercenaires russes », auraient lancé une opération militaire dans la
ville de Bambari (préfecture de l’Ouham) pour déloger les éléments armés du
CPC. Après l’opération, différents témoignages ont confirmé la mort de trois
civils, dont une fillette de 13 ans et 26 personnes blessées. Les « mercenaires
russes » ont été accusés d’avoir fait un usage excessif de la force et d’avoir
bombardé des sites protégés tels qu’une mosquée et des camps de personnes
déplacées.
Disparitions forcées :
Des « mercenaires russes » auraient été impliqués dans des disparitions forcées
entre les zones PK12 et PK16, ainsi que dans les 4e et 8e districts depuis la fin
décembre 2020. Il est également rapporté que des civils pris au milieu des hostilités ont été arrêtés par du personnel russe et présentés à la chaîne de télévision nationale comme des « rebelles ».
Torture et exécutions de masse :
Il est en outre rapporté que des tortures et des exécutions massives de prisonniers auraient eu lieu fin décembre 2020, menées par des » mercenaires russes » du 4e district/Landja-Mboko.
Viols, violences sexuelles et sexistes
Comme noté précédemment par le Groupe de travail sur la question de l’utilisation des mercenaires, le déploiement non réglementé d’entreprises militaires et de sécurité privées et d’acteurs liés à des mercenaires augmente le risque de nombreuses violations des droits de l’Homme, y compris en particulier le viol et d’autres formes de violence sexuelle.
Pillage de biens privés et publics
Ont été également rapportées des allégations de pillage de biens privés et publics par de prétendus « mercenaires russes » dans les préfectures de Lobaye, Ombera M’Poko, Nana Mambere et Ouam. Il est rapporté que des « mercenaires russes » auraient systématiquement pillé chaque ville, village et marché qu’ils ont repris aux mains du CPC. Des motos, des téléphones portables, de l’argent et d’autres objets de valeur auraient été systématiquement dérobés à la population locale dans les villes de Bossembele et de Yaloke (Ombera M’Poko), de Boda et des villages et marchés environnants (Lobaye).
Un politicien local et candidat aux élections législatives à Bossembele a vu sa maison occupée le 4 février 2021 par des Russes pendant plusieurs jours et ses effets personnels, y compris sa valise, emportés.
Occupation d’écoles et de locaux humanitaires
Au moins deux écoles de Lobaye sont toujours occupées par les FACA et des « mercenaires russes ». Un complexe humanitaire appartenant à l’OIM (Organisation internationale des migrations) a été transformé en base militaire dans la ville de Boda, dans la préfecture de Lobaye.
Manque de transparence concernant le statut, les règles d’engagement, les rôles et les mécanismes de commandement et de contrôle
Outre la fourniture d’une formation et d’un soutien logistique, des contractants privés ont été vus participant directement aux hostilités à plusieurs reprises, voire subissant des dommages corporels visibles, étant blessés ou tués. En outre, il est rapporté que les militaires et le personnel de sécurité privés impliqués dans les hostilités ne portent pas d’identifications militaires claires, ce qui rend extrêmement difficile pour les civils de les identifier et de les distinguer des forces armées régulières, de se protéger et de leur demander des comptes.
En outre, plusieurs sources ont rapporté que des entrepreneurs militaires et de sécurité privés, opérant à la fois conjointement avec et pour les FACA, ont participé à des réunions et opérations militaires. En outre, des rapports suggèrent qu’il existe une interopérabilité entre les entrepreneurs privés et la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA), et qu’ils participent à des opérations militaires aux côtés du personnel onusien de maintien de la paix. Une telle collaboration brouille les lignes non seulement entre les activités civiles et militaires, mais aussi entre ces formes militaires privées et celle du maintien de la paix, exacerbant les risques de violations des droits de l’Homme. Des exemples de tels événements se seraient produits lors de la bataille de Bossangou le 3 janvier 2021 et le 13 janvier à Bangui :
Le 3 janvier 2021, lors d’une attaque par des groupes armés à Bangassou, Préfecture de Mbomou, un total de 75 FACA (trois blessés et évacués à Bria) et 11 formateurs russes (deux blessés) ont été transférés à la base de la MINUSCA. Neuf combattants et un enfant (10 ans) auraient été tués et dix combattants blessés et admis à l’hôpital local. Dans la soirée, une évacuation médicale (MEDEVAC) aurait été lancée pour évacuer les deux formateurs russes blessés de Bangassou vers Bangui pour des soins médicaux
supplémentaires dans l’hôpital de niveau II de la MINUSCA, qui a atterri à Bangui le 4 janvier à 2h.
En outre, selon certaines informations, une assistance médicale et logistique est fournie par la MINUSCA au personnel militaire et de sécurité privé en dehors du contexte d’urgence, ce qui pourrait ne pas relever de son mandat.
Un autre incident rapporté est l’attaque du 13 janvier 2021 à Bangui, où des entrepreneurs militaires et de sécurité privés auraient opéré conjointement avec les FACA et se seraient battus aux côtés des soldats de la paix de la MINUSCA. Au cours de cette attaque, les opérations militaires auraient été « soutenues » par des hélicoptères non identifiés à partir desquels des tireurs d’élite ont tiré directement sur la zone civile densément peuplée de Bangui.
Comme le notent certains rapports, le 13 janvier 2021, à 6h05, à Bangui, une patrouille de la JTFB de la MINUSCA (SENFPU) et les FACA ont conjointement engagé un échange de coups de feu avec des combattants armés. A 10h05, la MINUSCA a rapporté que, lors de l’échange de tirs entre le personnel de la MINUSCA et les groupes armés, un soldat de la paix a été tué. Six combattants armés ont été tués, et quatre combattants et deux RPG7 ont été saisis. En outre, au moins une femme civile a été tuée au cours des tirs
croisés, et un enfant gravement blessé a été transporté à l’hôpital pour y être soigné. Les tirs se sont poursuivis à l’intersection de MSR1-MSR2. A 11h, le nombre de combattants armés est estimé à environ 300. Le personnel de la MINUSCA/FACA, soutenu par les Russes, contrôle la situation.
A 6h35, à un autre endroit de Bangui, un échange de tirs a été signalé entre des groupes armés et des « mercenaires russes » soutenus par la MINUSCA/FACA. A 7h, la patrouille de la MINUSCA a rapporté l’échange de tirs et des tirs sporadiques entendus dans le 3ème district. Il est calculé que plus de 100 combattants armés en uniforme ont attaqué plusieurs endroits.
Les forces de la MINUSCA auraient dépêché leur force RWABAT et leur police RWABAT FPU pour renforcer plusieurs endroits. Un hélicoptère de la PAKAVN a également apporté son soutien.
A 8h39, la MINUSCA a signalé la poursuite des échanges de tirs entre les groupes armés et le personnel MINUSCA/FACA/Russie. Aucune victime n’a été signalée.
Il est également rapporté que dans l’après-midi du 13 janvier 2021, dans les zones de Bimbo et PK12 de Bangui, la MINUSCA (Force et Police) a lancé une opération, coordonnée avec les FACA/ISF. En conséquence, un total de 31 combattants armés ont été tués, cinq combattants ont été capturés, et une douzaine de différents types d’armes et de matériel ont été saisis, y compris deux RPG, une mitrailleuse, des munitions, des magazines, des chargeurs de radio, et des uniformes militaires.
Nous avons reçu et continuons de recevoir des informations sur de graves violations et abus des droits de l’Homme, notamment des exécutions sommaires, des tueries aveugles, des détentions arbitraires, des actes de torture pendant les interrogatoires, des disparitions forcées, des déplacements forcés de la population civile, l’accès à la santé et l’augmentation des attaques contre la communauté humanitaire et d’autres abus attribuables aux militaires privés opérant conjointement avec les FACA.
Nous sommes profondément troublés par le recrutement et l’utilisation présumés du personnel militaire et de sécurité privés par le gouvernement de votre Excellence, et ce qui semble être, au vu des informations reçues, leur participation directe aux hostilités lors de l’escalade de la violence depuis les élections, ainsi qu’à de multiples violations des droits de l’Homme.
Depuis 2018, le Groupe de travail sur la question de l’utilisation des mercenaires suit avec une grande préoccupation la situation en République centrafricaine en ce qui concerne les mercenaires et le groupe dit « Wagner ».
Sans vouloir préjuger de l’exactitude des faits rapportés, nous sommes gravement préoccupés par ces allégations multiples et répétées de violations et d’abus des droits de l’Homme ainsi que les conséquences humanitaires liées à l’utilisation de personnel militaire et de sécurité privé en République centrafricaine.
Nous renvoyons à cet égard le gouvernement de Votre Excellence à l’annexe de cette lettre, qui élabore les normes internationales qui lient la République centrale africaine en matière de droits de l’Homme et de droit international humanitaire potentiellement violées par les faits allégués.
Nous souhaitons nous référer également à l’étude globale des réglementations nationales des sociétés militaires et de sécurité privées publiée par le Groupe de travail sur l’utilisation des mercenaires (A/HRC/36/47) ; et au rapport du Groupe de travail sur l’utilisation des mercenaires au sujet de l’évolution des formes, tendances et manifestations des mercenaires et des activités liées au mercenariat (A/75/259). Ces documents soulignent les difficultés à prévenir et à tenir les militaires et agents de sécurité privés étrangers responsables de leurs actes, y compris dans les situations de conflit armé. À cet égard, nous sommes préoccupés par le manque de clarté concernant les responsables du recrutement, du financement et du déploiement et concernant la mesure dans laquelle les militaires et agents de sécurité privés étaient intégrés dans les chaînes de commandement opérationnelles et tactiques des FACA. Nous sommes également très préoccupés par la coordination présumée entre les FACA, les sociétés militaires et de sécurité privées et les commandants militaires de la MINUSCA, ce qui peut donner lieu à une confusion quant aux rôles respectifs de chaque acteur et à des risques supplémentaires d’abus des droits de l’Homme.
Le manque de transparence concernant le statut, les règles d’engagement, les rôles et les mécanismes de commandement et de contrôle exercés sur les acteurs susmentionnés ainsi que la nature précise de leurs activités en République centrafricaine soulève de graves préoccupations en matière de responsabilité et de recours ainsi que des questions quant au respect du droit international applicable.
Comme il est de notre responsabilité, en vertu des mandats qui nous ont été confiés par le Conseil des droits de l’Homme, de chercher à clarifier tous les cas portés à notre attention, nous vous serions reconnaissants de nous faire part de vos observations sur les questions suivantes :
- Veuillez fournir toute information supplémentaire et/ou tout commentaire que vous pourriez avoir sur les allégations susmentionnées.
- Veuillez fournir des informations détaillées sur les cadres réglementaires et de responsabilité nationaux applicables concernant l’utilisation de personnel militaire et de sécurité privé, notamment pour la protection du président, la formation et la certification des forces des FACA, et leur participation à des activités de combat. Veuillez également fournir des informations sur tout accord bilatéral sur l’utilisation de personnel militaire et de sécurité privé entre le gouvernement de votre Excellence et d’autres gouvernements et/ou entités juridiques et/ou entreprises.
- Veuillez indiquer les mesures que le gouvernement de votre Excellence a prises, ou envisage de prendre, pour prévenir les violations des droits de l’Homme et les pertes civiles dans les opérations militaires des FACA impliquant du personnel militaire et de sécurité privé.
- Veuillez indiquer les mesures que le gouvernement de votre Excellence a prises pour s’assurer que les entreprises ou les contractants militaires et de sécurité privés sur son territoire et/ou sous sa juridiction exercent une diligence raisonnable renforcée en matière de droits de l’Homme afin d’identifier, de prévenir, d’atténuer et de rendre compte de la manière dont ils traitent leurs impacts sur les droits de l’homme tout au long de leurs opérations dans les zones touchées par des conflits, conformément aux Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.
- Veuillez fournir des informations sur le résultat de toute enquête sur lesviolations des droits de l’Homme signalées dans la présente communication. Si aucune enquête n’a été menée, veuillez expliquer en quoi l’absence d’une telle enquête n’est pas incompatible avec les responsabilités de la RCA en vertu du droit international des droits de l’Homme. Quels recours et réparations ont été prévus pour les victimes et leurs proches ?
- Veuillez fournir des informations détaillées sur l’utilisation de personnel militaire et de sécurité privé, y compris leurs rôles précis, la nature des activités entreprises en République centrafricaine, ainsi que leur rôle dans la logistique et le transport (piste d’atterrissage et hélicoptères) et leur certification en vertu de la législation centrafricaine. Veuillez également fournir des informations détaillées sur les chaînes de commandement. Veuillez fournir des informations sur la coordination des activités militaires, y compris le processus de décision concernant les interventions militaires.
- Veuillez fournir des informations sur l’identité des fonctionnaires qui sont autorisés à ordonner une privation de liberté. Dans quelles conditions de tels ordres peuvent être donnés, et quelles sont les sanctions prévues pour les fonctionnaires qui, sans justification légale, refusent de fournir des informations sur toute détention.
- Veuillez fournir des informations détaillées sur les entités juridiques et/ou entreprises spécifiques ayant passé un contrat, y compris leurs propriétaires/contrôle/personnel et comment les sociétés impliquées sont liées les unes aux autres. Veuillez fournir des informations sur les conditions générales des accords conclus avec les entreprises militaires et de sécurité mentionnées, y compris sur la manière dont les entreprises russes et leur personnel sont rémunérés pour leurs services. Veuillez fournir des informations détaillées sur les relations entre le représentant du ministère russe de la Défense en RCA et ces acteurs privés.
- Veuillez fournir des informations détaillées sur les sanctions et mesures potentielles pour les violations des droits de l’Homme commises par des fonctionnaires centrafricains et les violations des droits de l’Homme commises par le personnel militaire et de sécurité privé sous contrat (responsabilité). Veuillez fournir des informations sur tout rapport reçu concernant des violations des droits de l’Homme perpétrées par des militaires et des agents de sécurité privés. Veuillez partager toute information concernant l’état des enquêtes sur les violations des droits de l’Homme et du droit humanitaire commises par le personnel militaire et de sécurité privé, qu’il opère pour votre gouvernement, pour des clients privés ou seul. Veuillez inclure des informations sur les incidents présumés spécifiques mentionnés ci-dessus.
- Veuillez indiquer les mesures que le gouvernement de votre Excellence a prises, ou envisage de prendre, pour garantir aux victimes de violations des droits de l’Homme par des militaires et des agents de sécurité privés un accès effectif aux mécanismes judiciaires nationaux.
- Veuillez indiquer les mesures que le gouvernement de votre Excellence a prises ou envisage de prendre pour s’assurer que les entreprises militaires et de sécurité privées domiciliées sur son territoire et/ou sous sa juridiction établissent ou participent à des mécanismes de réclamation efficaces au niveau opérationnel, ou coopèrent avec des processus de réparation légitimes, afin de remédier aux effets négatifs sur les droits de l’Homme qu’elles ont causés.
- Veuillez fournir des informations détaillées sur les mesures et procédures en place pour les évacuations médicales des combattants des FACA blessés ainsi que du personnel militaire et de sécurité privé. Cette communication et toute réponse reçue du gouvernement de votre Excellence seront rendues publiques via le site web de rapport des communications dans un délai de 60 jours. Elles seront également disponibles ultérieurement dans le rapport habituel qui sera présenté au Conseil des droits de l’Homme.
Dans l’attente d’une réponse, nous demandons instamment que toutes les mesures nécessaires soient prises pour empêcher que les allégations susmentionnées ne se reproduisent et que les autorités compétentes coopèrent aux enquêtes formelles sur ces allégations afin de garantir la responsabilité de toute personne jugée responsable.
Nous nous réservons le droit, conformément à notre mandat, de porter à l’attention du public nos préoccupations en ce domaine, une fois les faits établis. Nous pensons en effet que ces allégations, si elles sont confirmées, requièrent de la part des autorités la plus grande attention, et que l’opinion publique devrait être alertée quant aux implications des faits relatés pour l’exercice des droits de la population. Toute expression publique de notre part en ce domaine indiquera que nous avons pris langue avec le gouvernement de Votre Excellence, pour clarifier les faits en question.
Veuillez noter que des lettres de contenu similaire seront envoyées au gouvernement de la Fédération de Russie, ainsi qu’aux entreprises concernées dans la mesure du possible, pour partager ces mêmes préoccupations, et qu’une copie sera partagé avec la MINUSCA.
Veuillez agréer, Excellence, l’assurance de notre haute considération.
Jelena Aparac
Présidente-Rapporteuse du Groupe de travail sur la question de l’utilisation des mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
Dante Pesce
Président-Rapporteur du Groupe de travail sur la question des droits de l’homme et
des sociétés transnationales et autres entreprises
Tae-Ung Baik
Président-Rapporteur du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou
involontaires
Agnes Callamard
Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires
Nils Melzer
Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
Annexe
Références aux instruments juridiques et autres standards établis en matière de
droits de l’Homme
En ce qui concerne les allégations et préoccupations susmentionnées, nous souhaitons attirer l’attention du gouvernement de votre Excellence sur les normes et standards internationaux pertinents qui sont applicables aux questions soulevées par la situation décrite ci-dessus.
Nous souhaitons rappeler que le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme continuent de s’appliquer dans une situation de conflit armé. La République centrafricaine doit, au minimum, respecter les droits de l’homme fondamentaux reconnus dans le droit international coutumier et est donc dans l’obligation de se conformer à la Déclaration universelle des droits de l’homme, aux Conventions de Genève de 1949 et aux règles coutumières du droit international humanitaire identifiées dans l’étude du Comité international de la Croix-Rouge (« Règles coutumières »). Les règles du droit international coutumier sont universellement contraignantes à tout moment.
Nous rappelons également que le droit de ne pas être soumis à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est un droit non dérogeable en vertu du droit international qui doit être respecté et protégé en toutes circonstances. L’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel la République centrafricaine a adhéré le 8 mai 1981, dispose que » [n]ul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » Cette interdiction absolue et indérogeable est également codifiée aux articles 2 et 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CCT), à laquelle la République centrafricaine a adhéré le 11 octobre 2016.
Nous souhaitons en outre nous référer à l’article 6 du PIDCP qui consacre le droit de tout individu à la vie. C’est le droit suprême auquel aucune dérogation n’est permise et il continue de s’appliquer également dans les situations de conflit armé auxquelles les règles du droit international humanitaire sont applicables, y compris à la conduite des hostilités (Observation générale 36 du Comité des droits de l’homme). Nous nous référons également à l’article commun 3(1)(a) des Conventions de Genève qui interdit catégoriquement les atteintes à la vie et à la personne, en particulier le meurtre.
Tant le droit inhérent à la vie que le principe de distinction entre les combattants et ceux qui ne participent pas directement aux hostilités sont des règles reconnues comme faisant partie du droit international coutumier et sont universellement contraignantes en tout temps. Les attaques sans discrimination sont également interdites (règle 11), de même que le lancement d’une attaque dont on peut attendre qu’elle cause incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles ou des dommages aux biens de caractère civil, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu (règle 14). Les parties au conflit doivent « faire tout ce qui est possible pour vérifier que les cibles sont des objectifs militaires » (règle 16) et prendre toutes les précautions possibles pour éviter et réduire au minimum les pertes incidentes en vies humaines dans la population civile (règle 15).
Le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme exigent des États qu’ils mènent des enquêtes approfondies, rapides et impartiales sur tous les cas présumés d’exécutions extra-légales, arbitraires et sommaires, et de crimes de guerre commis par leurs ressortissants ou leurs forces armées, ou sur leur territoire par un État étranger, ou sur lesquels ils ont juridiction.
En outre, les États doivent prendre les mesures appropriées pour traduire les auteurs en justice et offrir un recours effectif aux victimes. Le droit à un recours effectif est également consacré par la DUDH (article 8) et le PIDCP (article 2(3)). Il est en outre inscrit dans les Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire (résolution 60/147 de l’Assemblée générale, chapitre II). Conformément aux Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions (résolution 1989/65 de l’ECOSOC du 24 mai 1989), des enquêtes approfondies, rapides et impartiales doivent être menées sur tous les cas présumés d’exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires (principe 9).
En outre, nous tenons à rappeler que l’obligation des États de protéger et de mettre en œuvre les droits de l’homme, tels que le droit à la vie, ne se limite pas à leurs propres agents et englobe également la protection contre les violations des droits de l’homme par des tiers, y compris des acteurs privés, ainsi que l’obligation de prendre des mesures positives pour mettre en œuvre les droits de l’homme. Il s’agit notamment de prendre des mesures appropriées pour prévenir, punir, enquêter et traduire les auteurs en justice et réparer les préjudices causés par des acteurs tant étatiques que privés (CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, paragraphe 8). Cela a été réaffirmé par le Comité des droits de l’homme, spécifiquement en ce qui concerne le droit à la vie, dans son Observation générale n° 36 (CCPR/C/GC/36, par. 21).
Tant le droit inhérent à la vie que le principe de distinction entre les combattants et ceux qui ne participent pas directement aux hostilités sont des règles reconnues comme faisant partie du droit international coutumier et sont universellement contraignantes en tout temps. Les attaques sans discrimination sont également interdites (règle 11), de même que le lancement d’une attaque dont on peut attendre qu’elle cause incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles ou des dommages aux biens de caractère civil, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu (règle 14). Les parties au conflit doivent « faire tout ce qui est possible pour vérifier que les cibles sont des objectifs militaires » (règle 16) et prendre toutes les précautions possibles pour éviter et réduire au minimum les pertes incidentes en vies humaines dans la population civile (règle 15).
Les obligations préventives des États en ce qui concerne le droit à la vie sont en synergie avec les obligations des États de respecter et de faire respecter les Conventions de Genève, comme le prévoit l’article premier commun. A cette fin, les Etats sont tenus d’adopter toutes les mesures nécessaires pour assurer le respect des Conventions de Genève non seulement par leurs organes mais aussi par les particuliers relevant de leur juridiction ainsi que par les autres Etats et les parties non étatiques.
Nous faisons également référence à la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, qui établit qu’aucun État ne doit pratiquer, permettre ou tolérer les disparitions forcées (article 2) et qu’aucune circonstance, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse d’une menace de guerre, d’un état de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier des disparitions forcées (article 7). Elle proclame également que chaque État doit garantir le droit d’être détenu dans un lieu de détention officiellement reconnu, conformément à la législation nationale, et d’être présenté à une autorité judiciaire dans les plus brefs délais après la détention ; et que des informations précises sur la détention des personnes et leur lieu de détention soient mises à la disposition de leur famille, de leur conseil ou d’autres personnes ayant un intérêt légitime (article 10). La Déclaration souligne l’obligation pour les États d’enquêter promptement, de manière approfondie et impartiale sur tout acte constituant une disparition forcée (article 13) et que la victime et sa famille ont droit à une indemnisation adéquate, y compris les moyens d’une réadaptation aussi complète que possible (article 19).
Nous souhaitons également mettre en avant les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (A/HRC/17/31), qui ont été approuvés à l’unanimité par le Conseil des droits de l’homme en juin 2011 et qui sont pertinents pour l’impact des activités commerciales sur les droits de l’homme. Ces principes directeurs sont fondés sur la reconnaissance de ce qui suit :
- » Les obligations existantes des États de respecter, protéger et réaliser les droits de l’homme et les libertés fondamentales » ;
- Le rôle des entreprises commerciales en tant qu’organes spécialisés ou société exerçant des fonctions spécialisées, tenus de se conformer à toutes les lois applicables et de respecter les droits de l’homme ;
- La nécessité d’assortir les droits et obligations de recours appropriés et efficaces en cas de violation. »
Selon les Principes directeurs, les États ont le devoir de protéger contre les violations des droits de l’homme commises sur leur territoire et/ou sous leur juridiction par des tiers, y compris des entreprises. L’obligation de protéger, de respecter et de mettre en œuvre les droits de l’homme, reconnue par le droit conventionnel et le droit coutumier, implique le devoir pour l’État non seulement de s’abstenir de violer les droits de l’homme, mais aussi d’exercer une diligence raisonnable pour prévenir et protéger les individus contre les abus commis par des acteurs non étatiques (voir par exemple le Comité des droits de l’homme, Observation générale n° 31, paragraphe 8).
Comme le précise le rapport du Groupe de travail sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises à l’Assemblée générale (A/75/212) sur les mesures que les États et les entreprises devraient prendre pour prévenir et combattre les violations des droits de l’homme liées aux entreprises dans les situations de conflit et d’après-conflit, les entreprises devraient faire preuve d’une diligence accrue dans les situations de conflit en raison du risque accru d’être impliquées dans de graves violations des droits de l’homme. Il en va de même pour les États.
C’est un principe reconnu que les États doivent protéger contre les atteintes aux droits de l’homme commises par des entreprises commerciales sur leur territoire. Dans le cadre de leur devoir de protection contre les atteintes aux droits de l’homme liées aux entreprises, les États sont tenus de prendre des mesures appropriées pour « prévenir ces atteintes, enquêter sur elles, les punir et les réparer au moyen de politiques, de législations, de réglementations et de jugements efficaces » (Principe directeur 1). Les États doivent ainsi « indiquer clairement que toutes les entreprises domiciliées sur leur territoire et/ou sous leur juridiction sont censées respecter les droits de l’homme dans toutes leurs activités » (Principe directeur 2). En outre, les Etats doivent « appliquer les lois qui ont pour objet ou pour effet d’obliger les entreprises à respecter les droits de l’homme… ». (Principe directeur 3). Les Principes directeurs exigent également des États qu’ils veillent à ce que les victimes aient accès à un recours effectif en cas d’impact négatif sur les droits de l’homme lié aux activités des entreprises.
On peut considérer que les États ont manqué à leurs obligations internationales en matière de droits de l’homme lorsqu’ils ne prennent pas les mesures appropriées pour prévenir les violations des droits de l’homme commises par des acteurs privés, enquêter sur ces violations et les réparer. Bien que les États disposent généralement d’une marge de manœuvre pour décider de ces mesures, ils doivent envisager toute la gamme des mesures préventives et correctives autorisées.
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La rédaction
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